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seulement d’Odelltown. C’était le soir. Les Patriotes étaient déjà morfondus par la marche, et l’on s’était tenu en train avec cette perspective réjouissante de passer la nuit à Lacolle et de s’y reposer avant de jeter sur l’ennemi. Mais cette attaque brusque, à laquelle on ne s’attendait pas, faillit semer la débandade.

Il n’y avait pourtant là qu’un faible poste de soldats du gouvernement dont l’ordre était de retarder la marche des Patriotes. Nelson savait que ce poste devrait être culbuté, mais il n’en avait parlé qu’aux officiers, et la bande qui arriverait la première aurait la tâche de disperser ces soldats rouges.

Hébert avait dit en partant :

— Si j’arrive premier, je vous garantis que ce ne sera pas long.

Mais ses hommes aux premiers coups de fusil s’arrêtèrent.

— Hé ! là, vous autres, cria le major, est-ce de la sorte que vous pensez faire peur aux Anglais ? Allons ! en avant, on est capable de passer sur le ventre de nos ennemis en allumant nos pipes !

C’était un beau courage et de la belle confiance, car, de fait, la moitié de ses hommes marchaient au combat avec leurs pipes seulement. Et ces braves — car c’étaient de véritables braves — suivirent, ou mieux ils emboîtèrent le pas à ceux de leurs camarades qui avaient des armes.

Ah ! les pauvres bougres, ils allumèrent leurs pipes, c’est vrai, mais après l’affaire… quand ils eurent repris le chemin de leurs foyers.

Car le choc, pour un premier et aussi inattendu qu’il était, fut rude, et la fusillade des soldats rouges fort bien nourrie. Mais la voix d’Hébert tonna plus fort que les fusils ennemis, les courages furent stimulés, la ruée se fit, le poste fut emporté et les soldats ennemis en fuite. Mais il y eut des blessés… Et puis on était presque rendu à Odelltown et pas encore de fusils et pas encore de munitions !

C’était grave !

Des Patriotes sans armes se rassemblèrent par groupes, discutèrent, pesèrent le pour et le contre, et vers le milieu de la nuit on vit des ombres nombreuses sortirent du camp, prendre la route par laquelle on était venu.

On eût pu entendre ces remarques :

— Moé, j’tiens pas à m’faire tordre le cou comme un dindon !

— Hein ça m’a payé d’laisser la maison… me v’là avec un bras de cassé et une balle dans la cuisse gauche !

— Ah ! pour moé, si on avait eu des fusils, j’étais bon pour aller jusqu’au boute !

— Et pis moé donc… y a rien qui m’frait plus plaisir que d’tout tuer ces maudits rouges-là !

Aussi le lendemain vit-on l’armée Patriote diminuée de quelques centaines d’hommes. Seule, la bande commandée par Hindelang demeurait entière.

Le jeune français, ce matin-là, se mit en marche le premier vers Odelltown. Car le major Hébert et Nelson avaient quelque misère à remettre leurs bandes sur pied. On était au courant de la défection de la nuit d’avant, et l’exemple entraînait. Mais il est vrai que ceux qui voulaient tirer en arrière étaient de ceux qui n’avaient aucune arme à leur disposition.

Enfin, la marche en avant fut reprise.

Seulement quelques paysans têtus et méfiants avaient dit à Nelson, qui leur promettait sans cesse des armes :

— C’est bon, on va vous suivre. Mais si on n’a pas de fusils rendus là-bas, on sacre le camp !

Ils marchèrent… et si ces hommes eussent été armés d’armes solides, ils auraient accompli des prodiges.

Les hommes d’Hindelang étaient plus confiants.

Là, dans cette petite troupe que la défection n’avait pas même effleurée, régnaient l’espoir, la victoire, la conquête. Ah ! c’est que le jeune français, ardent comme il était et impulsif, savait transmettre, infuser au cœur de ses hommes cette force morale qui fait accomplir des miracles au soldat. Car Hindelang se sentait de force à passer pardessus tous les obstacles, à culbuter toutes les armées qui se présenteraient sur son passage. Que si, par une malchance quelconque, sa petite armée était rompue par des forces supérieures inattendues, il se croyait capable de la reformer, la ramener sur le terrain, la lancer dans la fournaise où elle s’était brûlée déjà, et la faire sortir victorieuse.

Avec un tel meneur des hommes peuvent aller loin.

Et il disait pour entretenir le feu :

— Mes braves canadiens, on se demandait s’il y avait du soldat en vous ? Levez la tête, hausser les fronts ! Demain la gloire militaire vous aura transformés en preux de l’antiquité ! Vous serez plus que des soldats de