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canadiens, patriotes, vos clameurs sont entendues ! Vos voix ont résonné comme des rocs sonores ! Vos traits conservent l’énergie des grands guerriers de 1812 ! Vous n’avez pas traversé la Russie impériale, mais sous vos pas a tremblé le sol de la grande Amérique ! Cinq cents combats de géants ont fait frémir cette terre qui vous est si chère ! Vos victoires ont semé leurs échos glorieux jusqu’aux ciels de France, jusqu’aux brumes d’Angleterre ! Et ces beaux firmaments qui vous regardent avec envie ont souri d’orgueil ! Vous défendiez vos foyers et ne cessiez de repousser les envahisseurs ! Vous vous êtes conquis un patrimoine admirable, et vous le défendez contre qui veut le prendre ! C’est votre devoir et votre droit ! Vous voulez être des maîtres chez vous, c’est encore votre droit ! Et vous voulez des chefs, j’en suis un ! Si je suis de France, mon sang a la même couleur du vôtre ! Mon âme a l’ardeur de la vôtre ! Mon cœur a l’amour de votre cœur ! Eh bien ! allons à la frontière américaine ! Allons ouvrir la porte à ceux qui viennent nous tendre une main secourable et généreuse ! Allons disperser ce troupeau de casaques rouges qu’a rassemblées la trahison ! Frères, allons à Odelltovn !

Jamais foule humaine ne fut plus électrisée.

Des milliers de bras se tendirent vers ce jeune homme qui parlait avec une si belle fierté et une si grande assurance. Ah ! il était de France ?… C’est vrai : on le reconnaissait bien ! Oui, oui, c’était bien un fils de la France… un vrai ! Ce n’était pas un démolisseur, celui-là ! Celui-là, c’était un bâtisseur ! Avec ce Canada français ce jeune homme eût fait un empire !

On le saisit, on l’enleva, on le haussa aux cieux, et vers le presbytère on le porta en triomphe. Car on voulait sans retard faire bénir les armes de la cause sainte. Les armes ?… Mais on n’en avait pas ! Sur deux mille hommes, quatre à cinq cents seulement étaient armés ! Armés ?… et de quelles armes encore ! N’importe ! Avec ce jeune homme pour les commander, avec ce fils de la France à la parole d’airain, aux regards d’acier, au geste foudroyant, est-ce qu’on avait besoin d’armes ?… Allons donc ! Qu’il nous conduise, on verra bien ! À son apparition, à la nôtre, les tuniques rouges prendront la fuite !…

Et on allait partir.

Robert Nelson parut.

On l’écouta. Il venait d’inspecter des postes de Patriotes. Tout allait bien. Et puis on aurait des armes avant d’atteindre la frontière, il en avait l’assurance. Puis, à son tour, il écouta la voix de plus en plus grondante de ces deux mille hommes qui demandaient à partir immédiatement. On lui rapporta la harangue du jeune Français. Il courut embrasser Hindelang.

— Amis patriotes, vous avez raison, s’écria-t-il, nous partirons ! Oui, il faut marcher, marcher de suite ! Formez les rangs !

Et les rangs se mirent à grossir, car il arrivait des recrues de tous côtés. On n’avait qu’à mentionner ou à montrer du doigt le fils de la France, de suite on se plaçait à la file. Et la nouvelle armée dépassait le nombre de deux mille.

Alors on la divisa en trois bandes : la première commandée par Nelson, la deuxième par Hindelang et la troisième par un Canadien, le major Hébert.

Il y avait là sept cents paysans armés seulement de fourches, de haches, de faux… C’était simple et c’était beau !


VI

LE DÉSASTRE.


Ainsi formées, ces trois bandes devaient se rendre par trois routes différentes à Odelltown, entourer le village qui n’avait qu’une garnison de quatre cents soldats, emporter la place, ouvrir les communications avec la frontière américaine, refaire les cadres de la petite armée, la renforcer des volontaires américains, marcher contre le gros des forces du gouvernement commandées par le général Colborne.

— En théorie le plan était fort simple.

Allait-il réussir en pratique ?

Notons encore que ces soldats du jour n’avaient que quelques bons fusils et peu de munitions, et que Nelson avait promis qu’on trouverait des armes avant d’arriver à Odelltown. C’est peut-être cette promesse qui maintint l’enthousiasme et la confiance dans les rangs des Patriotes. Mais l’on ne s’attendait pas à se heurter à un obstacle qui, sans être bien sérieux, refroidit terriblement l’exaltation d’un grand nombre de ces soldats improvisés.

En effet, après avoir marché toute une journée il arriva que l’une des bandes, celle qui était commandée par Hébert, fut brusquement assaillie par une vigoureuse fusillade au village de Lacolle, à quelques milles