des paysans, de les avoir dressés lorsque les circonstances semblaient s’être liguées pour faire obstacle de tous bois. Créer des soldats alors qu’on n’a pas d’armes à leur donner, alors que l’ennemi s’approchera bardé de fer et traînant la foudre est une tâche ardue. Un homme bien armé peut en face de vingt, de cent ennemis, se sentir une forteresse, même s’il ignore le maniement de ces armes de guerre. Mais jeté sur le champ de bataille et dans une mêlée furieuse sans l’outil nécessaire, cet homme est une nullité et une cible trop facile. Qu’il possède au plus haut degré les vertus militaires, s’il n’a pas l’acier et la poudre il ne compte pas.
Nos Patriotes avaient le courage et la bravoure, mais il leur manquait pour stimuler ces qualités morales l’arme matérielle. Néanmoins, Hindelang en fit des soldats… il en fit des soldats en quelques jours. Mais l’expérience des choses de la guerre leur manquait encore, de même qu’il leur manquait des chefs expérimentés, et ces deux besoins allaient leur faire répéter la malheureuse expérience de 1837. Malheureuse ? Non… c’est trop dire ! Il y eut du sang, des larmes, des deuils, des infamies commises contre notre race, toutes les horreurs de la guerre, soit. Mais n’empêche que les troubles qui ont causé ces calamités ont énormément influé sur les tactiques des ennemis du Canada français. Ces ennemis ont fini par saisir l’importance politique et économique des Canadiens-français, et ils ont compris encore l’utilité, sinon la nécessité, de les laisser vivre suivant leur caractère. Ils ont également compris que cette race-enfant deviendrait plus tard une race-homme ! Ces bandes timides et indécises de Patriotes pourraient plus tard être des armées formidables ! Plus tard ces paysans soumis qu’on avait vus supplier, puis gronder, puis rugir, pourraient devenir des maîtres, si l’on n’avait, dès l’heure, le tact de leur laisser la tranquillité qu’ils demandaient, si on ne leur cédait sur les points en litige ! Avec ces pensées la diplomatie britannique se fit plus sage, la lionne Albion rentra ses griffes à demi, le paysan canadien retrouva son allure paisible, et plus tard — aujourd’hui — le Canada Français se voyait doté des plus belles libertés ! C’est la conquête qu’ont faite nos Patriotes !
Peut-être aussi auraient-ils réussi la conquête de l’indépendance politique sans l’indécision des chefs ! Si l’un de ces chefs eût réussi une action d’éclat contre les troupes du gouvernement canadien, tout le pays se levait et se joignait aux bandes patriotes. Et cette action d’éclat se fût peut-être produite, sans la délation qui vint jouer un rôle infâme : il existait, hélas ! des traîtres parmi cette nationalité française qui, à l’heure suprême, n’aurait dû faire qu’une ! Oui, notre race, pas plus exempte que les autres, c’est vrai, connut ses Judas !
Quatre mille volontaires américains, avec armes et munitions de guerre en quantité, allaient donner la main aux Patriotes. Le souffle de la trahison passa sur la frontière et les Patriotes, qui attendaient ces secours si impatiemment, virent tout à coup s’élever une barrière entre ces généraux amis des États américains et eux. Qu’importe ! il ne fallait pas se rebuter aux premiers revers ! Il ne fallait pas non plus se décourager à cause du fait que le gouvernement canadien, aux premiers jours de novembre, ordonnait aux milices de Sorel et de Montréal de marcher contre les rebelles, et qu’il intimait aux réguliers de Kingston et de Toronto l’ordre de s’apprêter à partir pour le Bas-Canada. Il ne fallait pas reculer parce que Colborne réunissait quelques troupes aguerries et les dépêchait en toute hâte avec ordre de se poster entre la frontière et le camp insurgé de Napierville. Non, il ne fallait pas même avoir peur parce que ces troupes allaient camper près d’Odelltown et bloquer, par cette manœuvre, les secours américains.
Il n’y eut ni découragement ni peur, au contraire. En apprenant cette nouvelle, les Patriotes firent entendre ce rugissement :
— Nous débloquerons la frontière !
Ils étaient deux mille, mais deux mille n’ayant à se partager que cinq cents fusils dont un bon nombre n’étaient que de vieux mousquets d’une utilité problématique. N’importe ! il y avait des armes à la frontière, il y en avait même entre la frontière et le camp de Napierville, avaient affirmé des voix autorisées, et les deux mille Patriotes demandèrent qu’on les conduisit à cette frontière !
Nelson était absent.
Or, on demandait un chef… un chef de suite.
Des voix âpres hurlaient :
— Sus aux traîtres !
— Mort aux Anglais !
— Alors on vit un jeune homme grimper lestement sur le perron de la boutique d’un marchand. De là il dominait la foule frémissante.
Ce jeune homme, c’était Hindelang.
— Amis, dit-il d’une voix vibrante, frères