Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nation française, jamais ! Or, messieurs, dans la lutte que vous avez engagée, vous et vos compatriotes canadiens prouvez avec le plus indéniable témoignage que vous êtes encore français.

— Certes, certes, admit encore M. Duvernay subjugué de plus en plus.

— Autre chose, poursuivit Hindelang emporté par son ardeur juvénile : J’aime me battre, parce que j’ai le cœur français et l’âme française, mais me battre pour les causes qui sont dignes de nous mettre les armes à la main.

— Oh ! quant à notre cause, interrompit M. Rochon très ému, il n’en peut être de plus digne !

— Ni de plus noble ! ajouta M. Duvernay avec une sombre énergie.

— Parbleu ! cria Hindelang qui se promenait sans façon par la pièce et tout à sa pensée active, voilà bien ce que je me disais. Eh bien ? Noblesse oblige… Certes, je n’ai pas la noblesse du rang, mais de ma famille je tiens la noblesse du sang. Et vous, messieurs, comme moi, vous avez au cœur le sang le plus noble de l’univers : le sang de la France !

— Bravo ! ne put s’empêcher de clamer M. Rochon.

— Et pensez-vous que ce noble sang, continua le jeune homme ; ce sang si pur et si chaud va se refroidir lorsque l’étranger veut y tremper la pointe de son épée ? Ah ! non ! Mes amis canadiens, quand on fouette votre sang, c’est le mien qu’on fouette du même coup, c’est le sang de toute la France !

Hindelang avait d’un grand geste accentué ces dernières paroles. Alors il s’arrêta, vint ensuite se poster droit et fier devant M. Duvernay, et dit avec un accent dans lequel se révélait une résolution inébranlable :

— Monsieur Duvernay, écoutez-moi bien attentivement : quoi qu’on fasse pour m’empêcher, j’irai me battre avec vos compatriotes, parce que leur cause est la mienne. De même que je me battrais si ardemment pour ma France, je me battrai pour votre Canada. Car je sais et je sens — oui, je sens là quand je frappe dessus (il frappait son cœur) — qu’en me battant pour vos libertés nationales, je me bats pour les libertés françaises, je me bats pour l’honneur de la race française !

— Bravo ! bravo ! cria encore M. Rochon, qui, incapable de contenir plus longtemps son émotion et son admiration, courut au jeune homme et le serra avec force dans ses bras.

Et M. Duvernay, oubliant à la fin les avis de sa femme, suivit l’exemple de son ami. Il prononça, en serrant les mains du jeune Français :

— Ah ! que j’aimerais avoir un fils comme vous !

— Ainsi donc, monsieur Duvernay et vous, monsieur Rochon, vous ne tenterez plus de m’écarter de votre cause ?

Les trois hommes s’étaient rassis.

— Non, mon ami, répliqua M. Duvernay, vos arguments sont irrésistibles. Soit, vous serez des nôtres. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de vous demander si, dans le cours de vos réflexions, vous n’avez pas un peu songé à l’avenir ? Ce n’est pas tout de dire : Nous allons nous battre ! Comme moi, vous savez qu’il y a des risques, de très gros risques !

— Je sais. Mais à la guerre comme à la guerre, les risques ne se comptent pas !

— Et ne pensez-vous pas à votre mère qui pourrait se voir tout à coup privée de son enfant ?

— Ma mère, monsieur ?… je lui ai écrit, et je sais qu’elle approuvera ma conduite.

— Mais vous êtes tout jeune, mon ami, dit à son tour M. Rochon, et vous pouvez perdre en vain sacrifice toute une belle existence !

— C’est vrai que je suis jeune, je n’ai que vingt-quatre ans. Aussi suis-je à l’âge qu’il faut pour se vouer aux luttes héroïques. Je suis aussi d’âge, me semble-t-il où le sacrifice coûte le moins. Plus tard, lorsqu’on a acquis quelque fortune ou quelque gloire, qu’on a vécu d’une existence douce et bonne, il en coûte davantage de jouer ces bonnes choses sur un coup de dés. Et j’avoue que le mérite de cet homme en est plus grand et plus glorieux, tandis que le mien à cette heure, je ne crains pas de le dire, s’en trouve plus petit.

— Comme vous parlez avec raison ! s’écria M. Rochon, plein d’une admiration toujours croissante pour ce fier jeune homme.

— Parbleu ! si je parle avec raison…

— Mais ne songez-vous pas à la mort parfois affreuse qu’on trouve sur un champ de bataille ? voulut encore argumenter M. Duvernay.

— Bah ! fit Hindelang avec dédain. Qu’est-ce que la mort ici ou là ? comme disait un grand soldat de l’Empire ; et quand la cause est si belle et si juste, n’est-ce pas beau encore de mourir pour une telle cause ?

— Ou si vous alliez être jeté dans les pri-