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— Croyez-moi, poursuivit le jeune homme en s’animant, c’est un plaisir pour moi, un vrai plaisir que d’aller faire le coup de feu contre les Anglais.

— Vous n’aimez donc pas les Anglais ? interrogea en souriant M. Rochon.

— Vous le voyez bien, monsieur, que je ne les aime pas.

— Pourquoi ? demanda M. Duvernay qui était désireux de connaître toute la pensée de son hôte.

— Pourquoi ? répéta comme surpris Hindelang. Pardieu ! monsieur, le sais-je seulement ? Demandez donc à un Anglais pourquoi il n’aime pas les Français, et je vous jure qu’il sera bien en peine d’en déterminer la raison. Il pourrait peut-être, à la rigueur, vous répondre tout comme je le pourrais faire, en disant : Monsieur, si je n’aime pas les Anglais, c’est précisément parce que je suis français.

— Je comprends, sourit M. Duvernay, que cette réplique pourrait servir de formule pour déterminer vaguement le NON POSSUMUS qui sépare les deux races. Pourtant, je serais bien curieux de connaître la cause de ce sentiment âpre, aigu, qui écarte ces deux races l’une de l’autre — sentiment qui approche la haine.

— Oh ! monsieur, répliqua le jeune français, il est toujours possible d’expliquer dans une certaine mesure ce que vous pourriez appeler « ma formule ». Les peuples de la terre se sont toujours demandé et se demanderont encore longtemps, pourquoi Français et Anglais ne s’entendent pas ? Parce qu’ils ne peuvent pas ! Et pourtant, chose bien étrange, ne semblerait-il pas que leurs intérêts, qui sont opposés, devraient être communs. Car voilà deux peuples que l’Histoire a proclamé grands et glorieux, deux peuples chevaleresques, deux peuples de génie qui sembleraient faits pour diriger de main commune les destinées des autres peuples de la terre ; et pourtant tous deux travaillent en sens contraire. Si l’un veut ceci, l’autre veut cela ; quand l’un projette dans un sens, l’autre projette dans l’autre sens, tant et si bien que ces deux grandes nations en sont toujours à se mettre l’une devant l’autre. Ce n’est pas, monsieur, parce qu’elle n’ont « pas pu », c’est parce qu’elles n’ont « pas su ». Voyez-vous, chacune d’elles voulait atteindre au sommet de ses aspirations nationales selon, naturellement, la conception qu’elle s’en faisait. Or, pour atteindre ce sommet, lorsque l’une d’elles croyait, sincèrement et en toute bonne foi, s’engager dans tel sentier qui lui semblait plus facile, l’autre, cherchant aussi son essor par un sentier pareil, croyait découvrir dans sa rivale des ambitions qui lui portaient ombrage. Alors naissait la crainte, l’émoi, la peur ; alors aussi naissait la jalousie, et de là partait un dard empoisonné ouvrant une plaie qui ne pouvait plus se cicatriser. La rancune et l’animosité créèrent la haine. Messieurs, acheva Hindelang, que survienne un magicien qui puisse entre la France et l’Angleterre combler le ruisseau qui les sépare, et vous verrez deux nations aller la main dans la main. Mais ce magicien surgira-t-il jamais ?

M. Duvernay et M. Rochon se mirent à rire, très égayés tous deux par cet humour de leur jeune ami.

— Messieurs, reprit Hindelang après avoir également ri, je veux agir avec vous en toute franchise : je vous ai dit que je veux me payer un plaisir en me rangeant sous votre étendard, je vous le redis. Mais il y a mieux que cela : je sens, pour moi Français, que c’est un devoir d’honneur d’embrasser votre cause.

— Un devoir ? fit M. Duvernay en reprenant sa gravité, comme l’entendez-vous ?

— Monsieur, répondit Hindelang avec une farouche énergie, quand on me dit que des Français souffrent ici de la barbarie étrangère ; quand on m’affirme qu’ils subissent un joug ; quand on m’assure que ces mêmes Français veulent ravoir à tout prix et par tous les sacrifices des libertés qu’on leur a prises par la force ou par l’escroquerie, je me dis, moi, que c’est mon devoir de Français d’aider à ces Français, mes frères !

— Soit, jeune homme, admit M. Duvernay profondément touché par l’accent de son hôte. Mais, ajouta-t-il, ces Français du Canada, vous devrez bien en convenir, sont pour vous, comme pour les Français de France, des étrangers ?

— Monsieur, riposta Hindelang, n’avez-vous pas déclaré que vous, du Canada, vous avez aux veines le même sang que nous, de France ?

— Oui, oui, je le répéterai, s’il faut.

— Eh bien ! avouez que nous sommes frères. Et voudriez-vous nier cette vérité, que je l’affirmerais de toute force. Car il faut bien que vous ayez au cœur du vrai sang français pour ne pas accepter de boire les baves d’un peuple étranger. Il est de par le monde des nations qui se soumettront aux lois ou aux caprices des Anglo-Saxons ; la