min. Flambard rugissait comme un lion enragé, frappait comme un géant courroucé. D’autres gardes allaient se voir transpercés par l’effroyable lame, lorsque par la portière de la berline qu’une main d’homme venait d’ouvrir, apparut une main fine et blanche de femme, et cette main était armée d’un pistolet. La main ajusta le spadassin une seconde et un coup de feu éclata.
Atteint à l’épaule droite, Flambard échappa sa rapière sanglante, jeta un regard surpris vers la portière de la berline, poussa un sourd rugissement et voulut s’élancer contre la voiture. Mais il buta, et lourdement s’écrasa dans la poussière dans laquelle il se roula avec d’atroces hoquets de rage impuissante, tandis qu’un flot de sang giclait de son épaule.
Or, dans la portière ouverte maintenant apparaissait le visage blême de Bigot, et, assise près de lui, se trouvait une jeune et belle femme… une femme qui n’eût pas manqué d’exciter la jalousie de Mme Péan. À cette femme Bigot dit en souriant :
— Ma chère amie, vous êtes une merveille au tir !
Cette jeune femme n’était autre que la jolie Mlle Deladier, maîtresse de Foissan et devenue subitement celle de l’intendant-royal.
Elle éclata d’un rire ingénu, disant :
— Ce pauvre Flambard ! ça me chagrine bien tout de même !
Ses yeux et ceux de l’intendant se fixèrent sur le corps du spadassin qui continuait à se débattre sur le chemin, à se rouler, à gémir, à faire entendre des jurons indistincts.
Les gardes, pendant ce temps, relevaient leurs camarades blessés, et jetaient les morts dans les buissons sur le bord du chemin.
À cet instant un homme, enveloppé d’un large manteau noir, sortait de la maison et accourait vers la berline. C’était Deschenaux qu’on attendait pour partir.
— Qu’est-ce cela ? demanda-t-il en regardant la scène du chemin.
— Ça, se mit à rire l’intendant, c’est notre ami Flambard. Seulement, je constate qu’il n’est pas tout à fait mort.
Le spadassin demeurait maintenant presque inerte, n’étant secoué de temps à autre que par un spasme.
— Bon ! prononça froidement Deschenaux ; je vais l’achever !
Il arma un pistolet et marcha vers le corps de Flambard.
Il s’arrêta tout à coup, surpris et inquiet.
Non loin une fusillade venait de crépiter. On entendait des cris terribles et des jurons. Puis d’autres coups de fusils éclataient. Et chose curieuse, à tous ces bruits se confondaient le roulement d’une voiture ou d’un chariot. Et ces cris, ces coups de feu, ce roulement semblaient se rapprocher de l’habitation.
Pris d’épouvante un garde clama :
— Les Anglais !…
Cette épouvante du garde gagna tout le monde.
— En route ! ordonna Bigot d’une voix rude et impérative.
Descheneaux abandonna Flambard et courut à la berline qui, la seconde d’après s’éloignait dans un nuage de poussière escortée de ses gardes, et disparaissait peu après dans la route de la Lorette.
Flambard demeurait seul, mais vivant, sur le milieu du chemin.
Là-bas, les cris venaient de cesser ainsi que les coups de feu ; mais le roulement de voiture continuait à se faire entendre. Il se rapprochait très vite. Bientôt apparut un cabriolet portant deux individus dont l’un criait :
— Hop ! hop ! Monaut… il faut pas que les Anglais s’emparent de notre coffre !
C’étaient bien les deux grenadiers Pertuluis et Regaudin. Le premier fouettait le pauvre Monaut à tour de bras.
L’instant d’après le cabriolet arrivait en vue de mares de sang sur le chemin. Puis les deux grenadiers aperçurent le cadavre d’un homme.
Regaudin arrêta net son cheval.
— Hé ! mais, cria-t-il, n’est-ce pas là un grenadier…
— Ventre-de-roi ! clama avec étonnement Pertuluis, est-ce que je ne reconnais pas notre ami Flambard ?
— Biche-de-biche ! fit avec stupeur Regaudin. Est-ce que ces cochons de gardes de Bigot l’auraient proprement occis ?
Pertuluis venait de sauter à terre et se baissait vers le corps du spadassin.
— Non, dit-il, après un moment, ils ne l’ont qu’assommé un brin !