si doux que tout le monde se prit à écouter avec un religieux silence.
Lorsque ce joueur de fifre inconnu eut rendu trois ou quatre airs, Flambard le fit mander pour qu’il se restaurât et continuât à jouer de son instrument dans la salle même de l’auberge.
Mais le vieux sauvage refusa cette invitation. Tout en faisant entendre une langue inconnue, il branla sa tête en signe de négation, et montra sur la rampe de la véranda une sébile qu’il y avait posée. On comprit. Aussi, après le dîner, que la musique du fifre avait égayé tout autant que le vin ruisselant, chacun des convives défila devant la sébile pour y laisser tomber son obole. Et sous la largesse des trois grenadiers la sébile se trouva comble à déborder.
Pour manifester sa joie le sauvage lança un air si endiablé que tout le monde, rentré dans l’auberge, se mit à sauter bruyamment par la place. Et plus le fifre allait, plus la sauterie allait. Ce fut étourdissant. Flambard, juché sur un bahut, battait la mesure de sa rapière. Pertuluis rendait des accords effrayants en tapant du poing le cul d’une cuvette de fer-blanc, et Regaudin heurtait à tour de bras deux gamelles d’étain. Mais le fifre dominait quand même. Sur la place paysans et paysannes, villageois et villageoises, serviteurs et servantes tournaient, retournaient, viraient, frappaient du pied, puis s’enlaçaient, voltigeaient, se bousculaient, s’entrechoquaient et riaient à en perdre l’haleine. Ce fut une sarabande et un chahut à briser les têtes les plus solides.
Pendant ce temps-là, le joueur de fifre, ne se voyant nullement observé, levait de fois à autre un regard inquiet vers la terrasse.
Tout à coup, au moment où le charivari menaçait de faire crouler l’auberge, une porte-fenêtre s’ouvrit sur la terrasse, et une femme enveloppée de fourrures marcha rapidement vers la balustrade, tandis que dans l’ouverture ouverte demeurait, pâle et anxieuse, la figure de Péan. Or cette femme, qui traversait ainsi la terrasse, c’était la belle Mme Péan. Elle se pencha sur la balustrade. Au même instant le joueur de fifre leva les yeux.
Leurs regards se rencontrèrent. Mme Péan esquissa un sourire terrible et triomphant à la fois, en entendant ces trois mots monter de la bouche du vieux sauvage :
— Je porterai message !…
Elle avait reconnu Foissan.
Rapidement elle tira de son corsage le faux message que nous connaissons et le laissa tomber.
Sans discontinuer de jouer de son fifre Foissan, puisque c’était lui, ramassa vivement le papier et le glissa sous ses vêtements.
Et, sûre de la victoire maintenant, Mme Péan s’était empressée de regagner son appartement, c’est-à-dire sa prison.
Oh ! si elle avait su que sa manœuvre avait été surprise !
En bas, dans la salle de l’auberge, on commençait pourtant à se lasser, on ouvrait toutes grandes portes et fenêtres tant on avait chaud. Ce que voyant, le joueur de fifre crut le moment opportun de tirer l’échelle, Il saisit la sébile pleine, tourna les talons et décampa à toute vitesse vers les bois du voisinage où il disparut.
Le bal cessa comme par enchantement, et comme tous les regards cherchaient le musicien, on découvrit, non sans étonnement, qu’il s’était évanoui.
Flambard jeta un rire énorme.
Il s’imaginait que le vieux sauvage avait usé d’un truc et de son talent de musicien pour faire riche moisson de pièces d’or et d’argent, et il n’eut pas le moindre soupçon qu’il venait d’être savamment roulé.
Et nul autre dans l’auberge ne se serait douté que la trahison venait de jouer ses cartes.
Aussitôt après le bal Flambard monta à l’appartement de Jean Vaucourt et de sa femme pour s’y reposer.
Héloïse était seule avec son enfant. Mais dans une pièce voisine le capitaine écrivait.
Depuis le soir précédent Vaucourt et sa femme occupaient l’appartement qui avait été mis à la disposition du gouverneur. Il était spacieux et donnait sur la partie est de la terrasse. Il se trouvait séparé de l’appartement des Péan par un couloir transversal. Héloïse jouait avec son petit lorsque le fifre se fit entendre pour la première fois. Surprise et amusée, elle conduisit l’enfant à une fenêtre pour lui permettre de mieux entendre cette musique qui l’impressionnait. Puis, en bas le bal commença. Héloïse demeurait toujours à la fenêtre avec son enfant, bien qu’elle ne pût voir le joueur. Aussi vit-elle avec surprise Mme