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LE DRAPEAU BLANC

— Ah ! ah ! fit le gouverneur en posant son regard sur Maurin, j’ai précisément besoin de vos services, monsieur.

— Excellence, répondit Maurin, je suis à votre disposition.

Il se pencha à l’oreille de Varin et murmura :

— Faites mine de rien et allez respirer l’air du jour ; je me réserverai un entretien avec le gouverneur une fois que notre travail sera terminé.

Varin et Estèbe s’éloignèrent.

Déjà Maître Hurtubise faisait les apprêts du déjeuner, et toute la domesticité besognait de son mieux.

Sur la place de l’auberge se pressait toujours la même foule de paysans et de villageois, mais nul indien ne s’y mêlait ce jour-là.

Toute cette journée fut tranquille à l’extérieur de l’auberge comme à l’intérieur où M. de Vaudreuil travaillait.

L’unique incident qui parût intéresser quelque peu la foule, fut la venue d’un forgeron qui se mit en train de réparer la voiture de Péan.

Puis vers les quatre heures ce furent les préparatifs de départ de la diligence qui reçut ordre de rebrousser chemin, puis du gouverneur et de sa suite. Les cochers se lançaient des appels, juraient, rangeaient leurs chevaux de chaque côté des timons des berlines. Les cavaliers de l’escorte faisaient caracoler leurs montures au travers de la foule du peuple, qui, pour ne pas être écrasé, s’écartait prestement. Les voyageurs venus par la diligence deux jours auparavant, remontaient en voiture. Le postillon chargeait ses colis aidé de quelques villageois. Et durant l’heure qui suivit l’animation fut intense. Dans la cour des écuries des chiens à la chaîne hurlaient, des valets allaient et venaient, couraient, criaient, gesticulaient. Les chevaux qu’on bridait piaffaient rudement, renâclaient ou hennissaient, tandis que des fenêtres ouvertes des cuisines arrivaient des cliquetis d’ustensiles, de casseroles et de vaisselles que dominaient les commandements brefs et sonores de Maître Hurtubise. Parfois le rire gai d’une servante traversait tous ces bruits, toute cette animation.

Rentrons dans l’auberge pour assister à une petite scène qui allait bientôt s’y passer.

Maurin et Varin n’avaient pas réussi à faire lever la consigne qui maintenait Péan et sa femme prisonniers dans leur appartement. M. de Vaudreuil n’avait pas voulu intervenir.

— Ah ! messieurs, avait-il répondu, je suis bien désolé, mais je n’y peux rien. Et moi-même ne devrai-je pas tout à l’heure demander un laisser-passer au capitaine Vaucourt pour que je puisse gagner ma voiture ? Messieurs, voyez le capitaine Vaucourt !

Les deux subalternes sentirent l’ironie qu’il y avait dans les paroles du gouverneur, et comprirent qu’il serait inutile d’insister. Quant à demander tel laisser-passer à Jean Vaucourt en faveur de Péan, ils savaient que ce serait là encore vaine démarche, car ces deux personnages savaient que le capitaine Vaucourt ne les tenait pas en très sainte estime.

Alors, que faire ?

Ils étaient tous deux fort inquiets, redoutant que Péan, pour se tirer du piège, ne se fit accusateur et ne devint un danger pour eux-mêmes et toute la bande dont ils faisaient partie. Ils décidèrent, tout en allant faire leurs adieux aux prisonniers, de leur donner les meilleurs encouragements et leur laisser quelque faible espoir.

Mais ces encouragements ne parurent pas faire l’affaire de Péan.

— Mes amis, dit-il, je vous remercie de l’aide que vous avez bien voulu m’offrir, et puisque vous ne pouvez rien, je vous prie d’aller prévenir le gouverneur que je désire lui parler.

Estèbe se fit le porteur de ce message.

M. de Vaudreuil acquiesça à la demande du prisonnier.

— Eh bien ! monsieur, dit Vaudreuil à Péan, après s’être incliné devant Mme Péan dont les forts beaux yeux étaient tout pleins de larmes, veuillez me dire ce qu’il m’est possible de faire pour vous.

— Excellence, répondit Péan sur un ton bourru, on m’empêche de remplir pour M. l’Intendant une mission fort importante auprès de M. de Bréart aux Trois-Rivières, et cette mission, je dois vous le déclarer, concerne les affaires du pays. Je vous prie donc de faire cesser de suite l’odieuse comédie qu’on se plaît à jouer à nos dépens !

Vaudreuil ne parut pas froissé par le ton plutôt impératif de Péan. Il répliqua froidement :