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LE DRAPEAU BLANC

dre au succès de leur démarche il leur faudrait prendre le gouverneur à l’écart, pour qu’il n’eût pas à subir l’influence adverse d’un Bougainville ou d’un Vaucourt.

Mais quelle ne fut pas l’immense stupeur de ces personnages, lorsque, en voulant se retirer, ils virent la porte barrée par quatre soldats, le fusil en arrêt et la baïonnette au clair.

Péan poussa un formidable juron.

Estèbe de son air magistral, de sa voix grave et posée, demanda aux soldats :

— Que signifie, messieurs ?

Varin souriant, secouant son menton en même temps que son jabot de dentelle, pivota vers Mme Péan et dit, en nasillant :

— Pardon, madame ! c’est de la « fantasserie » seulement !

Mais on avait beau se fâcher ou rire, les « fantassins » de Bougainville demeuraient là quand même, solides et déterminés.

François Maurin, croyant que sa position de secrétaire de M. de Vaudreuil pourrait avoir quelque prestige cria :

— Soldats, je suis le secrétaire de M. le Gouverneur… place !

Les baïonnettes demeurèrent fixes et les bras qui les tenaient rigides.

Varin se remit à rire, puis à son tour marcha contre les factionnaires.

— Mes amis, dit-il en souriant, regardez-moi et veuillez reconnaître le trésorier-royal c’est-à-dire celui même qui est le dispensateur de votre solde trimestrielle !

— On ne passe pas ! dit sourdement un soldat.

Varin ricana longuement, recula et aspira fortement une prise de tabac.

— Par Notre-Dame ! jura Péan en tirant sa courte épée, je saurai bien passer, moi !

Comme un tigre enragé il bondit, l’épée haute. La lame heurta violemment les baïonnettes et se brisa.

— Ah ! malheur… gémit Varin, une si belle lame !

Péan la jeta à la face des gardes qui l’esquivèrent.

Mais le bruit de l’acier avait attiré l’attention générale de l’auberge.

L’instant d’après Bougainville et Jean Vaucourt paraissaient.

— Ah ! ça, dites-moi donc, mon cher Bougainville, s’écria Varin, tenez-vous tellement à nos existences que vous ayez l’amabilité de poster à notre porte des gardes qui empêchent l’entrée de meurtriers ? Ma foi, je veux vous serrer la main.

Sur un geste de Vaucourt les gardes s’écartèrent, et le capitaine répondit froidement :

— Monsieur Varin, je vous fais mes excuses. C’est moi qui ai aposté ces gardes dans l’unique dessein de préserver la vie de Madame et de Monsieur.

Et il désignait Péan et sa femme, ahuris tous deux, et pleins de fiel et de haine.

Les paroles du capitaine produisirent une stupeur générale.

Un moment, Varin échappa son sourire, une inquiétude le saisit.

— Monsieur, dit-il à Vaucourt, dites-moi si monsieur le gouverneur est encore en bas.

— Il est en bas, monsieur.

Varin s’inclina et, suivi de ses deux associés, prit le chemin de la salle commune.

Voyant la porte libre, Péan voulut sortir à son tour ; mais les factionnaires reprirent aussitôt leur poste et il se trouva devant la pointe des baïonnettes.

— Par l’enfer ! cria-t-il à Bougainville, votre conduite, monsieur, devient tout à fait outrageante !

— Hélas monsieur ! sourit Bougainville. Je le regrette beaucoup pour Madame qui a eu l’amabilité de m’offrir l’hospitalité hier, mais ce sont des ordres, et aux ordres un soldat doit se plier.

Et s’inclinant avec une parfaite aisance, il se retira Jean Vaucourt le suivit.

— Monsieur ! clama Péan ivre de rage.

— Est-ce moi que vous appelez ? demanda Jean Vaucourt en s’arrêtant.

— Vous, oui. Je veux vous dire ceci : depuis un instant je comprends que vous êtes celui qui dirigez contre nous cette conduite injurieuse, et je vous somme de faire retirer ces gardes, sinon…

— Sinon ? répliqua froidement Vaucourt.

Péan jeta un cri de fureur, et avec force il renvoya la porte dans son cadres.

Bougainville et Vaucourt échangèrent un sourire et descendirent en bas.


— XVI —

LE RETOUR DE FLAMBARD.

Varin, Estèbe et Maurin trouvèrent monsieur de Vaudreuil en train d’écrire dans la salle commune. Quelques officiers, non loin de là, s’entretenaient à voix basse.