Page:Féron - Le drapeau blanc, 1927.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
LE DRAPEAU BLANC

ses projets de vengeance à peine ébauchés et du fiel que distillait sa vanité.

Sans plus de réflexion il frappa à cette porte.

Une servante vint ouvrir.

Devant la cheminée et sur un canapé Héloïse jouait avec son enfant dont les frais éclats de rire emplissaient gaiement la chambre. Mais à la vue de Péan elle abandonna son enfant, se leva et froidement demanda :

— Est-ce pour moi, Monsieur, l’honneur de cette visite…

— Inattendue et peut-être déplacée, madame ? sourit mystérieusement Péan ; hélas ! oui. Et je veux de suite vous offrir mes excuses, avant de vous faire la communication dont je suis chargé.

Et, tout en s’asseyant sur le canapé près de son jeune enfant, elle indiqua un siège à Péan à quelque distance d’elle.

— Vous avez à me faire une communication ? Je vous écoute, monsieur.

Péan accepta le siège indiqué. Mais avant de parler il jeta un coup d’œil vers la servante qui, après avoir refermé la porte, demeurait debout les yeux fixés sur le visiteur.

Héloïse comprit le regard de Péan, et, sans défiance aucune, elle fit un geste à la servante pour l’inviter à se retirer. La servante obéit.

— Maintenant, monsieur, vous pouvez parler, dit-elle.

Péan ébaucha un sourire dont la signification parut assez distincte à la jeune femme pour mettre son esprit en émoi. Elle considéra cet homme avec un étonnement muet, et sur sa figure tout autant maquillée que celles des femmes de la luxure elle découvrit un assemblage de passions viles. Elle vit des petits yeux bleus, à demi voilés, sournois, hypocrites, qui la détaillaient outrageusement des pieds à la tête. Et elle remarqua cette bouche aux lèvres plutôt grosses et qui semblaient mieux faites pour le blasphème que pour la prière. Elle vit ce menton gras, carré, à double étage étalant sa chair de sensualité et de débauche. Elle eut peur. Sa peur se changea en épouvante, lorsqu’elle vit Péan se lever tout à coup et, sans mot dire, aller tirer le verrou de la porte.

Malgré son effroi elle se rappela quelques paroles de recommandation que lui avait dites son mari avant de la quitter ce matin-là.

— Ma chère amie, avait dit le capitaine, il y a là à côté de nos ennemis. Voyez, je dépose sur cette tablette mon pistolet, et ne craignez pas de vous en servir, si l’un de ces ennemis ou les deux à la fois venaient troubler votre repos. Tuez, ma chère, tuez sans pitié car ce sont deux serpents qu’un jour ou l’autre il faudra nécessairement écraser !

Oui, Héloïse se rappelait ces paroles. Seulement, avant de suivre les conseils de son mari, elle hésitait. Elle pouvait encore se tromper sur les intentions de Péan. Elle attendrait un peu. D’ailleurs, elle savait qu’elle n’avait qu’un pas à faire pour s’armer du pistolet de son mari. Elle regarda donc aller Péan à la porte, elle le vit tirer doucement le verrou, sans bruit. Alors elle comprit que les intentions de cet homme étaient malsaines. Elle fit un bond jusqu’à la tablette, prit l’arme et la braqua froidement sur Péan qui lui tournait encore le dos.

Lui, satisfait que la porte ne pourrait être ouverte de l’extérieur, se retourna alors en esquissant un sourire de cruel triomphe.

Mais ce sourire s’effaça aussitôt, tout son être fut agité d’un tremblement, et du dos il s’appuya à la porte qu’il venait de verrouiller avec sa tranquillité de coquin fini. Mais devant le danger, par habitude il porta sa main droite à la garde de son épée.

Héloïse pressa légèrement la détente de l’arme à feu.

Et tout insaisissable que fut ce geste, Péan le saisit, ou peut-être mieux, il le devina, et à son tour il eut peur.

Il glissa rapidement ses deux mains derrière son dos où elle tâtonnèrent avec fébrilité pour trouver le verrou. Tous ses traits grimaçaient affreusement. Héloïse ne tremblait pas, l’arme demeurait toujours froidement menaçante. Et entre elle et lui pas une parole ne s’échangea. Puis, les mains de Péan trouvèrent le verrou, elles firent un effort fiévreux et le verrou glissa en grinçant. Péan tourna sur lui-même, saisit le bouton de la porte, le tira violemment et tout comme un voleur ou un meurtrier pris en flagrant délit, il s’enfuit.

Si pas un mot n’avait été prononcé entre les deux acteurs de cette scène, une chose sûre, ils s’étaient compris tous deux, et Péan avait mieux compris qu’Héloïse.


XV

OÙ ET COMMENT, SANS LE SAVOIR, JEAN VAUCOURT FIT PRISONNIER VARIN, ESTÈBE ET MAURIN.


Au midi, lorsque le capitaine revint près de sa femme, celle-ci lui narra la scène qui