événements terribles avaient écartés l’un de l’autre, se trouvaient ce soir-là réunis. Bien que ces deux personnages n’apportent dans le cours de ce récit qu’un rôle effacé, nous croyons devoir leur consacrer une partie de ce chapitre, attendu que plus tard ils reprendront un rôle plus actif et plus intéressant : nous voulons parler de Marguerite de Loisel et du vicomte Fernand de Loys.
On se rappelle comment le vicomte, blessé à la bataille des Plaines d’Abraham, avait été informé par son ancien camarade de plaisirs, le chevalier de Coulevent, du complot tramé pour la perte de Québec, et comment, ayant été conduit aux Hospitalières où il avait réclamé les soins de Marguerite de Loisel, il avait confié à cette dernière la trame ourdie et l’avait suppliée de tout tenter pour en empêcher l’exécution. Or, Marguerite n’avait cru mieux faire que d’en instruire Jean Vaucourt pour qui elle n’avait cessé de garder une grande admiration et une vive amitié.
Ayant donc rempli sa mission auprès du jeune capitaine, elle était revenue en toute hâte aux Hospitalières. Elle y était accourue avec la vision angoissante du vicomte blessé, mortellement blessé, et sur le point de rendre son âme à Dieu. Oui, Marguerite accourait maintenant auprès du blessé, non avec répugnance, mais avec un cœur ardent tout plein de sympathie et de pardon. Car Jean Vaucourt en quelques mots lui avait narré la belle et héroïque conduite du vicomte sur les Plaines, et avait conclu par ces paroles :
— Je pense, Mademoiselle Marguerite, que le vicomte n’est plus ce que nous l’avons connu. Moi, je lui pardonne de tout âme. Je me souviens qu’en ma jeunesse on me disait que toujours le ciel se réjouit à la conversion d’un pécheur. Or, si Dieu pardonne, c’est que, par son exemple, il nous commande aussi le pardon.
À ces paroles, Marguerite avait tressailli d’une grande joie intérieure.
Oui, c’est vrai, le vicomte avait été un grand pécheur… Oh ! comme elle le savait mieux que d’autres ! Mais elle avait pardonné, elle aussi, depuis longtemps. Seulement, elle n’avait pu oublier… elle n’avait pu oublier en dépit de tous les efforts de volonté qu’elle avait faits.
Mais voilà que tout à coup, après le récit de Jean Vaucourt et avec le pardon déjà accordé, elle avait senti l’oubli se faire rapidement sur un passé terrible. Ah ! ce vicomte de Loys l’avait fait bien souffrir, elle, Marguerite qui l’avait aimé ! Mais lui-même, aujourd’hui, ne souffrait-il pas davantage ? N’avait-il pas en secret, peut-être, atrocement souffert ? Oui… car pour qu’un homme se transforme sitôt, du jour au lendemain, après une existence dépravée de plusieurs années, il faut bien que la souffrance ait torturé l’âme de cet homme ! Or celui qui a souffert n’a-t-il pas droit à la pitié des hommes ? Oui, Marguerite se le disait, et la pitié qui la dévorait à présent se changeait en un ardent désir, une volonté âpre de disputer à la mort l’homme qui avait été son bourreau ! Oui, mais n’y avait-il pas dans les replis secrets du cœur de cette jeune fille le souvenir d’un amour qui avait résisté à toutes les catastrophes et à tous les outrages ?… Peut-être !…
Marguerite trouva de Loys livide, inerte, mais vivant encore. Elle s’en réjouit. Un chirurgien penché sur le blessé lui dit :
— Ce voyage en calèche, mademoiselle, l’a presque tué ; c’était une grave imprudence.
— Monsieur, on pourra peut-être le sauver, dit la jeune fille en tremblant.
— Certes, cela se peut avec la vigoureuse constitution qu’il possède. Mais quelles attentions il faudra, quels soins de nuit comme de jour !
— J’aurai ces soins et ces attentions, monsieur, car le vicomte les a réclamés lui-même.
— Je sais, et j’ai confiance en vous.
Le chirurgien donna à la jeune fille les instructions nécessaires, puis se rendit auprès du milicien Aubray qui, comme l’avait demandé Marguerite, allait être ce soir-là conduit chez lui. Le chirurgien voulait s’assurer de la solidité de ses pansements.
Et toute cette nuit-là, tandis que les religieuses allaient à tour de rôle prier en leur chapelle pour le repos de l’âme du Marquis de Montcalm, Marguerite la passa au chevet du vicomte, guettant le premier réveil pour lui administrer certaine potion recommandée par le chirurgien.
Ce ne fut que le matin, à l’heure où trépassait le héros de la Nouvelle-France, que le vicomte de Loys revint à la vie.
Il reconnut Marguerite et ses yeux vitreux jetèrent des éclats de joie souveraine. Il voulut parler, mais ses lèvres, sur le moment, refusèrent de remuer. Elles étaient collées par une sorte d’écume qu’avait produite la fièvre.
Marguerite essuya les lèvres du malade, et lui fit boire à petites gorgées la potion