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LE DRAPEAU BLANC

— Excellence, j’avais appris, en effet, que le marquis avait été gravement atteint en cette bataille.

— Mortellement atteint, messire. Et cet après-midi un courrier dépêché par Monsieur de Ramezay m’informait en route que le marquis a rendu d’âme ce matin.

— Qu’il repose en paix ! murmura le prêtre.

— Aussi, vais-je demander au peuple ici présent de s’unir à vous dans une prière à Dieu. Suivez-moi, ajouta-t-il.

Monsieur de Vaudreuil monta sur la véranda et commanda le silence. Il annonça la mort de Montcalm et recommanda qu’on s’unît au prêtre dans une prière pour l’âme du trépassé. Il ordonna que tout travail cessât ainsi que toutes réjouissances en signe de deuil, déclarant que ce même soir le marquis de Montcalm serait enterré à Québec.

Un solennel silence s’était fait aussitôt. Le prêtre à son tour monta les deux marches qui donnaient accès sur la véranda, se tourna vers le peuple et leva la main. Tout le monde se découvrit et tomba à genoux. Le prêtre fit un grand signe de croix et d’une voix tremblante d’émotion récita lentement le De Profundis. Et la scène fut si impressionnante, qu’on vit des larmes couler de tous les yeux. Et lorsque le dernier verset…


Et clamor meus ad te veniat !


se fut répandu dans le crépuscule silencieux, tous les regards, comme d’un commun accord, se portèrent dans la direction de la capitale où un grand héros reposait dans le sommeil éternel.

Monsieur de Vaudreuil, le premier, se leva et, donnant le bras à l’abbé, entra dans l’auberge suivi par les fonctionnaires et les officiers.

Muette et consternée, la foule des paysans et villageois se dispersa peu à peu. Et, pendant que tombait la nuit, tandis que sonnait l’Angélus, sur la lisière des bois et au delà du village s’allumaient les feux de bivouac, et toute la nature parut s’abîmer dans un deuil immense.

Et pourtant, malgré ce deuil, cette douleur, cette tristesse que revêtait tout le pays, les traîtres profitaient de l’ombre et du désarroi général pour renouer les fils de leurs trames sinistres.

Comme nous le savons, Foissan avait obtenu de Jean Vaucourt un permis de sortir de l’auberge, et nous savons aussi qu’un officier de Bougainville avait été chargé de surveiller l’Italien. Mais l’arrivée soudaine du gouverneur et tout le brouhaha qui s’en était suivi avaient troublé tout le monde. Foissan avait saisi l’opportunité pour courir à l’écurie avec ses six gardes et ceux de Péan. Là, ils étaient montés en selle, s’étaient engagés dans les brousses sombres à l’insu de tout le monde, et, un peu plus tard, ils s’étaient élancés à toute course sur la route des Trois-Rivières. Car Péan, après avoir quitté Bougainville et Vaucourt dans la cuisine de l’auberge, avait dit à Foissan au pied de l’escalier où tous deux s’étaient rencontrés :

— Il faut, coûte que coûte, que Flambard ne revienne pas ! Prenez la route avec les gardes, apostez-vous au coin d’un bois, dans le fond d’un ravin ou là où vous voudrez… Mais arrangez-vous cette fois pour ne le pas manquer !

Foissan avait répondu avec un sourire féroce :

— Monsieur, si je parviens à sortir de cette auberge, je vous garantis que Flambard ne reviendra pas !

L’Italien était donc parti avec ses gardes sur la route des Trois-Rivières, mais non à l’insu de tout le monde comme il l’avait pensé… car nous verrons bientôt que le départ des gardes avait été surpris.

Mais puisque cette nuit-là devait être une nuit de deuil, nous interromprons les intrigues de ce récit pour retourner à Québec et nous joindre à la triste cérémonie qui allait bientôt s’y accomplir, c’est-à-dire l’enterrement du Marquis de Montcalm.


XIII

DANS LA TOMBE


La salle d’armes du Château Saint-Louis avait été tendue de deuil, et dans un cercle de cent vingt cierges allumés qui répandaient une vive lumière Montcalm, dont les yeux étaient fermés à la vie terrestre le matin de ce 14 septembre, était exposé sur un lit de velours noir. Durant tout ce jour la population civile et militaire fut autorisée à venir déposer l’expression de sa douleur près de la couche funèbre du grand soldat et du beau gentilhomme de France. La cloche de la chapelle des Ursulines, l’unique cloche que n’avaient pas abattue les boulets anglais durant le bombardement de la cité, tinta tout le jour un glas douloureux.