lours marron contre les plumes roses et bleues du paon !
Un rire circula à la ronde parmi les buveurs attablés.
— C’est égal, cria Pertuluis en levant une tasse d’eau-de-vie, c’est le cas de dire que nous nous rattrapons à-qui-en-veut-en-v’là !
— Et vivent les paons ! rugit Regaudin en vidant son gobelet.
Rouge de colère, Péan gagnait la porte de l’auberge.
Dans la cuisine Jean Vaucourt avait sursauté de surprise en entendant les voix des deux grenadiers.
— Oh ! oh ! fit-il à Bougainville, voilà deux grenadiers de ma connaissance sur qui il sera bon d’avoir l’œil.
Bougainville se mit à rire.
— Deux chenapans et deux braves à la fois
— Braves jusqu’à la folie, déclara Vaucourt, qui les avait vus à l’œuvre sur les Plaines d’Abraham.
À ce moment l’aubergiste passait près des deux officiers. Vaucourt l’arrêta.
— Eh ! dites donc, Maître Hurtubise, vous ne m’avez pas donné de nouvelles de ma femme et de ses amis ?
— Quoi ! fit l’aubergiste surpris, vous attendez donc madame et ses amis ?
Vaucourt partit de rire.
— Au fait, reprit-il, j’ai oublié de vous dire hier que j’attendais madame Vaucourt, la femme du milicien Aubray et trois autres personnes. Je suis assez surpris de ne les pas voir ici encore.
— Madame et ceux qui l’accompagnent ne venaient-ils pas en berline ?
— Parfaitement. En auriez-vous des nouvelles ?
— Oui, monsieur. Des soldats ont passé sur la route, près de Saint-Augustin, une berline dont une roue était brisée. Cette berline contenait quatre ou cinq voyageurs, dont trois jeunes femmes.
— Pardieu ! s’écria le capitaine, je parie que c’est la berline qui transporte ma femme, celle du milicien Aubray et Rose Peluchet.
Et se tournant vers Bougainville, il ajouta, l’air un peu inquiet :
— Monsieur, j ai bonne envie de galoper jusqu’à Saint-Augustin pour voir ce qui s’y passe.
— Je comprends bien votre inquiétude, capitaine, sourit Bougainville ; mais je puis vous assurer que la berline sera réparée, ou que Monsieur de Vaudreuil, qui arrivera bientôt, se chargera de Madame Vaucourt.
— Vous avez peut-être raison, et j’attendrai l’arrivée de Monsieur le Gouverneur.
Pendant ce temps, Péan s’était rendu jusqu’à la porte de l’auberge et avait fait mine de sortir. Les soldats de Bougainville lui avaient barré le passage.
— Que signifie ? s’écria Péan tremblant d’indignation.
— On ne passe pas ! dit un soldat.
— Sans un permis du capitaine Vaucourt ! ajouta un autre.
— Ah ! fit Péan suffoqué. Et vous pensez, mes drôles, que je demanderai la permission pour aller à mes affaires ?
— Il le faudra ! répondit le premier soldat.
Et Péan vit des baïonnettes devant lui.
La foule dehors, reconnaissant que ce grand seigneur, qui voulait en imposer, n’était autre que le sieur Péan, applaudit fortement le geste des soldats.
Écumant de rage et se doutant bien de qui venait cet ordre si bien exécuté par les soldats, Péan tourna prestement sur ses hauts talons et se dirigea vers la cuisine où, en traversant la salle comme l’instant d’avant, il avait aperçu les silhouettes de Bougainville et de Vaucourt.
Avec une mine dominatrice et courroucée à la fois, il s’approcha de Bougainville et sans la moindre forme de politesse prononça :
— Monsieur, il paraît que vous avez donné ordre à vos soldats de ne pas laisser sortir les gens de cette auberge ?
— Moi ? fit Bougainville avec une surprise bien stimulée.
Et feignant de reconnaître seulement le sieur Péan, il sourit et dit, avec une inclination de tête :
— Ah ! pardon, monsieur, je ne vous savais pas ici !
— Alors… cet ordre que vous avez donné ?…
— Ai-je vraiment donné cet ordre ?
— On le dit, monsieur.
— En ce cas, daignez vous adresser au Capitaine Vaucourt.
— Eh ! que m’importe monsieur le capitaine, s’écria dédaigneusement Péan ! Je vous demande si oui ou non vous avez donné cet ordre ?