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PORTES CLOSES
Tandis que le bon prêtre offrait ses consolations à ses malheureux paroissiens, une voix prononça, non sans une marque de surprise :
— Monsieur de Bougainville !
Une troupe de cinquante cavaliers venait d’apparaître, et à la tête de cette troupe chevauchaient le Colonel de Bougainville et le capitaine Jean Vaucourt.
La troupe s’arrêta un peu avant d’atteindre l’auberge. Bougainville et Vaucourt descendirent et, tirant leurs montures par la bride, s’approchèrent des paysans en pleurs. Tous deux saluèrent le prêtre et échangèrent avec lui quelques paroles de courtoisie. Puis Bougainville donna un signal à sa troupe demeurée plus loin. Les cavaliers approchèrent, et il leur donna à mi-voix cet ordre :
— Amis, gardez toutes les issues de cette auberge, et que nul n’entre ou ne sorte sans un permis du capitaine Vaucourt !
Les cavaliers obéirent immédiatement à cet ordre non sans causer une immense stupeur parmi la foule des paysans et des villageois.
Bougainville et Jean Vaucourt remirent leurs chevaux à deux cavaliers de l’escorte, et tous deux pénétrèrent dans l’auberge où ils furent reçus à grands coups de révérences par Maître Hurtubise.
— Messeigneurs, dit l’aubergiste, j’ai là-haut encore un superbe appartement…
— Gardez-vous bien de nous gâter, protesta en riant Bougainville. Rappelez-vous, maître Hurtubise, que nous sommes soldats, par Notre-Dame ! Servez-nous dans votre cuisine, près de ce feu, une petite côtelette de quelque chose, ou simplement une cuisse de lapin rissolée et une mesure de votre petit vin.
— Excellences, excellences… se confondit l’aubergiste, c’est trop peu pour vos excellences ; mais puisque vous le désirez ainsi…
— Oui, oui, Maître Hurtubise, allez !
Les deux officiers pénétrèrent dans la cuisine.
Bougainville, comme il l’avait dit lui-même, était soldat, et soldat comme le marquis de Lévis dont il était le grand ami. Et c’était le vrai soldat, rigide pour sa personne, âpre sur la discipline, vaillant et homme de grand sang-froid. Mais c’était aussi le gentilhomme, le vrai gentilhomme ; non celui qui ne vit que pour le luxe et les plaisirs, mais de ces gentilshommes qui ne songent avant tout qu’à présenter en tous temps et dans tous les pays l’honneur et la noblesse du nom français.
Cultivé et lettré, il fut avec Montcalm l’un des premiers à faire fleurir dans la colonie les lettres françaises. Très distingué de manières et de langage, sans hauteur ou vanité, bienveillant, courtois, hospitalier, il attirait à lui la plèbe et la soldatesque qui le respectaient hautement.
Sous des apparences débonnaires il était armé d’une forte énergie et d’un esprit tenace, et le soldat et le gentilhomme chez lui s’alliaient dans la meilleure mesure possible.
M. de Bougainville se fit peu d’ennemis en Nouvelle-France, demeurant le plus possible hors des démêlées et des brouilles surgissant à tous moments entre le gouverneur et le marquis de Montcalm. Il respectait M. de Vaudreuil et l’estimait, mais n’acceptait d’ordres dans les choses de la guerre que du marquis de Montcalm d’abord, et de M. de Lévis ensuite. Il avait fait entendre à M. de Vaudreuil, tout en reconnaissant l’autorité dont il était revêtu, qu’à son sens l’armée ne devait, dans une opération militaire, relever que d’un chef. Loin de déplaire au gouverneur, cette franchise avait augmenté son estime pour M. de Bougainville.
Quant à Bigot, qui se vantait de mener comme il voulait l’armée et ses chefs, il s’était heurté à un rude homme dans Bougainville. Il s’était vite aperçu que le gentilhomme n’était pas disposé à faire ses quatre volontés.
Il était arrivé dans un conseil que M. Bigot avait reproché à Bougainville de ne les avoir pas secondés, lui et M. de Vaudreuil, dans leurs projets. Froidement et dignement Bougainville avait répliqué, mais tout en laissant percer de l’ironie :
— Monsieur l’intendant, ne me parlez donc pas de finances, je ne saurais m’y entendre complètement, alors que vous y excellez à merveille et que nul de nous, soldats, ne saurait vous y prendre en faute !
Malgré son ironie cette boutade n’avait pas déplu à Bigot qui, d’ailleurs, n’avait su en saisir le véritable sens. Mais, une chose