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LE DRAPEAU BLANC

toute la hauteur de sa taille et de sa vaillance, se levèrent-ils en masse pour se retirer. L’un d’eux jeta à M. de Ramezay ces paroles sardoniques :

— Monsieur le Commandant, nous étions venus discuter avec vous le salut commun sans savoir que nous devions coudoyer la rapace des camps !

Le spadassin se mit à ricaner.

— Rapace de camps et rapace de comptoirs, dit-il, monsieur, je vous défie bien de prouver que la vôtre est plus respectable que la mienne !

Puis s’adressant à M. de Ramezay et quelques officiers autour de lui, il ajouta :

— Messieurs, quoi qu’il en soit et tout humble grenadier que je suis, je dis : au nom du roi de France et de son représentant M. de Vaudreuil, qu’il ne soit rien fait de décisif que vous n’ayez reçu un message de Monsieur de Lévis, auprès de qui je me rends pour l’informer qu’il est appelé à prendre le commandement de l’armée de la Nouvelle-France !

Puis, saluant M. de Ramezay et M. de Fiedmont, Flambard pirouetta et sortit, laissant le conseil, et plus particulièrement les marchands, tout interloqué.

— Allons ! se dit le spadassin une fois qu’il se trouva hors du château, il me faut maintenant dévorer l’espace, si l’on ne veut pas que Bigot et sa bande n’agissent de façon à amener en moins de vingt-quatre heures la catastrophe finale !

Peu après il sortait de la ville et s’élançait à toute allure vers Lorette et Saint-Augustin, ne précédant l’armée que d’une demi-heure tout au plus.

Mais s’il précédait l’armée, lui, d’un autre côté il était précédé par des ennemis bien décidés de lui barrer la route, comme nous allons voir.

Un moment, il avait songé à raccourcir son chemin en traversant les faubourgs, gagnant les Plaines d’Abraham, puis Sillery et Saint-Augustin. Mais c’était traverser les lignes anglaises…

Après une seconde de réflexion, il avait murmuré :

— Bah ! ce serait trop déranger Messieurs les Anglais qui, ma foi, se sont fort bien battus ce jour et méritent une nuit tranquille !

Il avait donc pris par la Lorette, où la route passait au travers de bois et de ravins à quelque six milles en arrière des lignes ennemies.

À présent, nous précéderons Flambard, tout en revenant à une heure en arrière.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Comme nous le savons, la mission de Flambard avait été connue des stipendiaires de Bigot dès le déclin du jour ; car l’intendant possédait des espions partout et dans tous les entourages, il en avait jusque dans les milieux ecclésiastiques. En effet, Bigot avait réussi à soudoyer un jeune abbé que Mgr  de Pontbriand avait fait venir de France pour se l’attacher. Bigot avait promis à cet abbé d’user de sa grande influence à la Cour pour lui faire avoir la mitre et la crosse, si, en retour, il surveillait les actes et les paroles de l’évêque et lui faisait chaque semaine un rapport fidèle de tout ce qui se passait dans l’administration épiscopale. Bigot savait qu’à diverses reprises Mgr  de Pontbriand avait signalé aux ministres du roi Louis XV la conduite répréhensible de l’intendant dans la direction et la gestion des affaires de la colonie, et lui, Bigot, voulait se venger, en usant de canaillerie, et faire rappeler cet évêque si vaillant qui n’avait jamais usé que de ses droits de pasteur, de citoyen et de bon sujet du roi.

Donc, Bigot, ayant été informé par son secrétaire Deschenaux de la mission confiée à Flambard par le gouverneur, avait de suite songé aux moyens à prendre pour empêcher le spadassin d’accomplir sa mission. Mais Deschenaux, qui aimait à prévoir pour son maître, avait déjà conçu et arrangé tout un plan, tant pour arrêter Flambard que pour faire parvenir à Ramezay un faux message. Aussi, lorsque Bigot et ses amis eurent levé la séance pour aller rejoindre les dames de la fête, Deschenaux fit mander Foissan, lui donna ordre de rattraper Flambard, et lui fournit l’argent et les gardes pour accomplir dignement et sûrement sa besogne.

Il avait ajouté avec un sourire sombre et haineux :

— Et si, mon ami, tu peux faire disparaître à jamais ce bretteur, sache que je tiendrai à ta disposition quelque mille livres d’or pour récompenser cet insigne service que tu auras rendu à la cause royale.