Page:Féron - Le drapeau blanc, 1927.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LE DRAPEAU BLANC

raient, pris le chemin du golfe et de la mer. Au surplus, tant que la Porte du Palais ne serait pas bloquée par l’ennemi, il resterait toujours un moyen de s’approvisionner quelque peu de ce côté, en autant que l’armée demeurerait, dans son camp de Beauport et qu’elle empêcherait l’ennemi de descendre dans les faubourgs. Et si, au pis aller, l’armée décidait de se retirer de son camp, comme le laissait prévoir M. de Vaudreuil dont le message avait été écrit avant que ne fût prise la décision du conseil, M. de Ramezay avait quinze jours pour se maintenir, c’est-à-dire un laps de temps suffisant pour permettre aux chefs de l’armée française de tenter le débloquement de la ville.

Flambard se présenta donc à la Porte du Palais, monté sur un vaillant, coursier que lui avait donné M. de Vaudreuil. Mais depuis le midi de ce jour, il n’était pas facile de faire ouvrir cette porte : ne la franchissait, que tel individu habitant l’enceinte de la cité et qui possédait un laisser-passer bien en règle du commandant de la place, ou tel de l’extérieur des murs qui était pourvu d’un permis portant le sceau vice-royal. Et encore, ceux qui entraient dans la ville n’y pouvaient résider, et seule une affaire de haute importance leur ouvrait la porte. Pour tout dire, n’entraient ou ne sortaient que les courriers des chefs militaires. Flambard était, ce soir-là, un courrier extraordinaire, et il avait tous les papiers nécessaires pour lui donner accès dans la place en ruines. Il entra, mais ce ne fut pas, néanmoins, sans avoir à parlementer avec l’officier d’un gros poste d’artillerie placé aux abords de la porte.

Lorsque notre héros arriva en vue du Château Saint-Louis, il y trouva une grande foule de femmes, de vieillard et d’enfants qui, tous agenouillés, pleuraient, gémissaient et invoquaient le ciel de sauver de la mort imminente leur grand général, le marquis de Montcalm. Plusieurs soldats de la garnison se mêlaient aussi à cette foule sanglotante. Touché par cette grande douleur — douleur qu’il partageait largement pour l’admiration et l’estime qu’il avait à l’égard du héros agonisant — Flambard s’agenouilla avec cette foule prosternée, et pieusement récita un De Profundis. Puis, vu que sa mission était pressante, il traversa la foule, qui déjà semblait s’abîmer profondément dans un deuil douloureux, et pénétra dans le château dont toutes les portes étaient, grandes ouvertes.

Il alla d’abord se prosterner au pied du lit sur lequel reposait le marquis, que la mort paraissait avoir déjà terrassé, dit un Pater avec une grande ferveur, puis demanda qu’on le conduisît auprès de Monsieur de Ramezay. Celui-ci, à ce moment même, tenait conseil avec les marchands qui étaient presque tous officiers de la garnison. Il était huit heures et demie, et déjà, avant même qu’on eût reçu des ordres du gouverneur, on s’apprêtait à décider du sort de la ville.

Le message apporté par Flambard parut faire une vive impression sur l’assemblée, et M. de Fiedmont, qui était présent, s’écria joyeusement :

— Messieurs, voici les ordres que nous apporte Monsieur Flambard de la part du gouverneur. Nous tiendrons donc jusqu’à la dernière extrémité, même si l’armée se retire à la rivière Jacques-Cartier, comme semble le craindre Monsieur de Vaudreuil.

— Eh ! monsieur, cria le sieur Deladier, l’un des gros commerçants de la capitale et créature de Bigot, il vous sied bien, vous qui n’avez rien à perdre, de tenir jusqu’à la dernière extrémité ; et nous, qui sommes déjà à moitié ruinés, qui songera à nous ?

— Par mon âme ! monsieur, rétorqua Flambard qui, il est vrai, n’avait nulle autorité pour émettre à ce conseil une opinion, mais dont les oreilles avaient été vivement écorchées par ces paroles du marchand ; par mon âme ! dit-il, quand on craint tant pour sa peau ou son gousset, on ne demeure pas dans une ville assiégée ! Monsieur de Fiedmont a parlé comme un courageux soldat qu’il est, et vous comme un ignoble fesse-mathieu !

— Monsieur ! clama le marchand indigné et en se levant avec un geste de menace à l’adresse de Flambard…

— Par les deux cornes de satan ! s’écria le spadassin, abaissez votre index de grippe-sou et d’escroc, sinon je vous pige au collet et vais vous fourrer tête, ventre et pieds dans la panse empoisonnée de votre maudit Bigot !

Des officiers éclatèrent de rire, ceux-là qui appuyaient M. de Fiedmont.

Mais les marchands se trouvèrent fortement outragés. Aussi, redoutant trop la rapière du colosse qui les dominait de