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LE DRAPEAU BLANC

— Messieurs, s’écria Bigot avec une joie sombre dans ses prunelles, les affaires de l’État sont réglées ! À présent, levons notre coupe à la santé de ces dames que nous allons rejoindre !

Encore une fois, le Maître avait parlé et ordonné !…


— II —

LE BLESSÉ


Peu de blessés français avaient été relevés du champ de bataille des Plaines d’Abraham, ce 13 septembre 1759, champ de bataille dont les Anglais étaient restés maîtres. Quelques-uns avaient eu la bonne fortune d’être relevés à temps et emportés dans la cité ; et parmi ceux-là il en est un qui nous intéresse plus particulièrement : le vicomte Fernand de Loys atteint grièvement de deux coups de baïonnette à la fin de la bataille. Sur l’ordre du capitaine Jean Vaucourt qui s’était battu à ses côtés, le vicomte avait été secouru par deux grenadiers, Pertuluis et Regaudin, qui, eux aussi, s’étaient vaillamment battus ce jour-là.

Sur ses propres instances le vicomte avait été transporté à la Porte Saint-Louis, poste qu’il commandait avant le combat, dans une baraque où il avait une chambre quasi confortable.

Comme on avait voulu l’envoyer aux Ursulines, où l’on dirigeait les officiers blessés, de Loys s’y était refusé, disant :

— Portez à ces braves religieuses ceux qui en ont plus besoin que moi ; ici dans ma baraque je pourrai tout aussi bien mourir !

Le vicomte croyait sincèrement qu’il n’en réchapperait pas. Outre les deux coups de baïonnette reçus dans l’abdomen, plusieurs balles anglaises l’avaient atteint, mais aucune d’elles ne semblait avoir pénétré dans les organes vitaux.

On consentit donc à le déposer dans sa baraque. Dès qu’il fut étendu sur le lit de camp de sa chambre, il demanda qu’on fît venir de suite un prêtre et un chirurgien.

Ce fut le prêtre qui arriva le premier. Les chirurgiens n’étaient pas nombreux, et la plupart se trouvaient très occupés dans les hôpitaux. Deux étaient auprès du marquis de Montcalm.

Le prêtre qui accourut au chevet du vicomte, était un jeune Père Jésuite. Il appartenait à une petite famille de noblesse languedocienne, et il connaissait de Loys et sa famille. Ce jeune prêtre avait beaucoup déploré la basse conduite du vicomte, et maintes fois il avait supplié Dieu d’éclairer le jeune homme et de le ramener dans la voie de la droiture. Aussi, en apprenant la belle tenue du vicomte sur le champ de bataille et son état précaire, accourut-il joyeusement pour procurer à cette jeune âme en perdition les secours de l’Église.

Possédant quelques connaissances en chirurgie, il effectua les premiers pansements, et crut reconnaître que les blessures, bien que graves, pouvaient n’être pas mortelles.

Cela fait, il remplit les fonctions de son véritable ministère, celles du prêtre. De Loys se confessa et montra un tel repentir de sa vie passée, que le Père Jésuite, excessivement touché, ne put contenir des larmes de joie. Puis il partit en promettant au vicomte de lui envoyer un chirurgien sans retard.

De Loys le retint un moment.

— Mon Père, dit-il, vous êtes si bon et vous m’avez fait tant de bien, que je veux me permettre de puiser encore dans ce trésor de bonté.

— Certainement, mon ami, sourit le prêtre ; puisez autant qu’il vous plaira !

— Merci. Écoutez donc : si, ce soir, je suis encore de ce monde, et si le chirurgien me donne l’espoir de vivre ou du moins de survivre à mes blessures, voudrez-vous entreprendre pour moi une petite démarche ?

— De tout cœur, monsieur le vicomte, parlez !

— Je vous demanderai de vous rendre aux Hospitalières. Là, vous manderez une garde-malade, Mademoiselle Marguerite de Loisel…

— Je la connais, sourit l’abbé.

De Loys rougit.

— Monsieur l’abbé, poursuivit-il, si vous la connaissez, vous savez avec quel dévouement elle soigne les malades et les blessés qui lui sont confiés, et avec quelle douceur et quelle compassion ? Eh bien ! vous lui direz qu’un blessé… qui la connaît, désire ses soins, ses soins à elle seule, vous me comprenez ?