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LA GUERRE ET L’AMOUR

avons des confitures de toutes sortes, du beurre, du fromage, de la crème fraîche, du lait de ce matin. Bien sûr que nos visiteurs ne crèveront pas de faim.

Et Louise continuait de sourire tranquillement pour ajouter :

Et pour les boissons, nos bons vins et notre délicieux cidre, sans compter ce restant de café des îles. En outre, si nous furetons un peu dans la cave, nous y découvrirons d’autres choses. Oh ! maman, il faudrait que ces messieurs fussent bien difficiles pour ne pas être satisfaits de ce que nous pouvons leur offrir.

Cependant, le capitaine avait souhaité la bienvenue aux deux Anglais. Carrington entendait bien la langue française et la parlait avec une grande facilité. Jeune encore, trente-trois ou trente quatre ans, il était d’une bonne famille, instruit, avenant et de manières distinguées.

— Je tiens d’abord à vous faire nos excuses, dit-il à l’ancien pêcheur, de nous présenter, mon compagnon et moi, aussi inopinément.

— Oh ! il n’y a pas d’excuses à faire, pas la moindre, mon ami, reprenait bonnement le capitaine. Je connais ça. D’ailleurs, je n’ai pas de peine à voir que vous êtes des étrangers au pays…

— Parfaitement. Je suis le major Carrington, et mon compagnon, le lieutenant de marine, John Holbart.

— Bon, bon, fit le capitaine.

— Je tiens à vous dire tout de suite, poursuivit le major, que le lieutenant, bien qu’il entende un peu votre langue, ne peut la parler, et à moins que vous-même sachiez notre langue…

— Ah bien, monsieur l’officier, j’en suis bien chagrin, je n’ai jamais eu l’avantage d’apprendre votre langue. Mais qu’à cela ne tienne, nous nous entendons quand même, se mit à rire le capitaine, que la venue de ces Anglais — des ennemis, comme on disait — ne troublait pas le moins du monde.

Et il ajouta :

— Je veux que vous sachiez tout de suite, mes amis, que vous êtes les bienvenus.

— Je suis enchanté de votre accueil bienveillant. Vous nous mettez tout à fait à notre aise. Nous nous croyions tellement importuns…

— Mais non, mais non, pas du tout, interrompit le capitaine. Nous autres, vous savez, nous sommes faits de même, nous y allons rondement et sans cérémonies. On n’est pas des sauvages, croyez-le bien, quoiqu’on en ait l’air, des fois.

Carrington voulut protester.

— Je sais, je sais ce que vous allez dire, et, comme vous devez bien le penser, à force de coudoyer les Sauvages et de vivre dans leur promiscuité, on finit par prendre un peu de leurs coutumes, surtout à vivre isolés comme nous vivons ici.

Et le capitaine souriait placidement tout en bourrant sa pipe.

Je trouve au contraire, dit Carrington que vous conservez admirablement toute la bonne civilisation française.

— Je vous remercie de cette bonne opinion, monsieur le major.

Et moi, je remercie le hasard de m’avoir conduit sur votre beau domaine. Figurez-vous que nous étions en quête d’un gibier quelconque, cerf ou chevreuil, lorsque nous découvrîmes le chemin qui aboutit à votre ferme. Dois-je vous confesser que c’est la curiosité qui a dirigé nos pas jusqu’à votre porte.

— Heureuse curiosité, monsieur le major ; et je remercie hasard et curiosité. Il nous est agréable, dans notre solitude, de recevoir des visiteurs. Et puis, ce n’est pas tous les jours, loin de là, que nous avons l’avantage et le plaisir de recevoir des visiteurs de marque et d’importance.

Carrington s’inclina devant cet éloge.

Et le capitaine poursuivait :

— Puisque mon sans-façon ne vous importune point, et qu’il approche l’heure de midi, laissez-moi vous inviter à manger le potage avec nous. Oh ! nous ne sommes pas riches, mais nous parvenons tout de même à nous bourrer le ventre trois fois par jour.

— Si j’en juge par ce que voient mes yeux, il n’y a pas de doute que nous sommes chez un gros propriétaire. Je suis vraiment émerveillé. Même en Nouvelle-Angleterre on ne saurait trouver site plus enchanteur et mieux entretenu. Vous habitez un petit paradis.

— Si vous trouvez tout cela à votre goût, monsieur le major, ce n’est pas moi qu’il convient de féliciter, mais plutôt ma fille, qui a du talent et qui aime les belles choses. Mais vous ne me dites toujours pas si vous acceptez de partager notre modeste repas.

— Allons donc ! cher monsieur, nous acceptons avec empressement et plaisir. Votre aimable invitation tombe à point, nous sommes en très bel appétit.

— À la bonne heure. En attendant, nous allons boire un coup de vin. Cela vous va-t-il ?

— Comment donc… Mais parfaitement. En vérité, vous nous comblez, cher monsieur…

— J’ai oublié de vous dire qu’on m’appelle capitaine, oui capitaine Dumont, pour vous servir.

— De plus en plus enchanté, capitaine. Permettez que je fasse part à mon compagnon de votre bienveillante invitation.