Page:Féron - Le dernier geste, 1944.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
LA GUERRE ET L’AMOUR

ra, c’est-à-dire qu’il sera très malheureux jusqu’à la fin de ses jours. La jeune fille crut bon de lui faire entendre ces paroles, qui le consoleraient peut-être :

— Max, dit-elle d’une voix douce et persuasive, sache bien que je t’aime comme mon frère. Je t’ai toujours aimé ainsi. Mais j’ai un fiancé, un époux devant Dieu qui m’entend. Même s’il était mort et que j’en aurais la certitude, je lui resterais fidèle, m’étant juré à moi-même de n’en jamais avoir d’autre pour mari. Je suis épouse dans la vie, dans la mort, dans l’éternité. Je ne puis donc pas t’appartenir sans manquer à mon serment. Manquerais-tu, Max, au serment que tu aurais fait ? Non, n’est-ce pas ? Car je te connais. Tu sais tenir une simple parole, tu saurais donc davantage encore tenir un serment. Ainsi donc, Max, nous continuerons de vivre en amis, comme frère et sœur. Je vivrai heureuse en ta compagnie. Toi-même tu vivras heureux comme avant et jusqu’à ce beau et grand jour où Dieu mettra dans tes bras forts et généreux la femme que ton cœur désire. Ta sœur blanche a parlé, Max.

Impassible comme toujours, le jeune Indien se leva lentement, prit son fusil et, sans un mot à la jeune fille, sans même un regard, avec sa même figure aux traits rigides ne décelant aucune émotion, il s’éloigna et gagna l’habitation et y disparut.

À cet instant précis, le capitaine et sa femme pénétraient dans la clairière, revenant des champs.

À la vue de Louise, l’ancien pêcheur s’écria, le visage tout épanoui.

— Ah ! ma fille, quelle belle et abondante moisson la terre va nous donner ! Si tu voyais comme ça pousse et comme ça se dore déjà. Demain, tu iras voir… nous irons tous les deux. Tu seras émerveillée comme ta mère et moi, bien sûr.

Un peu fatigués par la marche, les deux époux prirent place sur le banc à côté de leur fille, et le capitaine alluma sa pipe.

— Fait-il bon un peu, dit la mère. Je pense que je mourrais de chagrin s’il me fallait maintenant quitter ce pays. N’est-ce pas, chère fille, que nous sommes heureux ?

En effet, toute la physionomie de dame Dumont respirait un parfait bonheur.

Malgré la nuit qui se faisait de plus en plus obscure, on se mit à causer, doucement, de toutes les petites choses qui emplissaient leur existence. Louise se garda de communiquer à ses parents la mauvaise nouvelle apportée par Max, ne voulant pas troubler leur joyeuse sérénité. Elle garda secrète aussi la scène qui venait de se passer entre elle et Max. Quant à cette scène, en y songeant encore, elle n’y voyait plus qu’un enfantillage. Pour ce qui avait trait à la mort d’Aurèle et d’Olivier, il convenait de prendre la chose avec beaucoup de réserve et attendre, avant de donner pleine créance à cette nouvelle, qu’elle leur fût apprise d’une façon moins discutable et par des personnes tout à fait dignes de foi.

Comme on était à causer de la terre, des travaux qui resteraient à faire cet été-là et de la moisson qu’on espérait, on entendit l’horloge dans la maison sonner les neuf heures. On entra. Lorsqu’on eut allumé la lampe, on put voir Max allongé, selon sa coutume, sur le carreau de la grande salle et devant la cheminée sans feu. Il ne dormait jamais ailleurs ni autrement, hiver comme été. Personne ne fit d’observation, et l’on se retira pour la nuit.

♦     ♦

Au matin suivant, et comme à l’ordinaire, ce fut le capitaine qui se leva le premier, d’abord pour faire le feu et allumer sa pipe, ensuite pour se rendre aux étables donner ses soins aux animaux. En entrant dans la salle commune, ce matin-là, il vit tout de suite que l’Indien n’était pas à sa place accoutumée : la salle était déserte. Il en éprouva quelque surprise, car Max ne se levait et ne quittait la maison qu’au moment où le maître du logis se levait lui-même. Le capitaine leva les yeux vers une poutre au fond de la salle, là l’on accrochait les deux fusils, le vieux mousquet du maître, et le fusil anglais de Max. Le mousquet était là, à ses deux clous qui le retenaient ; mais les deux autres clous, tout à côté, étaient veufs de leur compagnie. La chose était claire : Max, ayant entendu ou flairé quelque gibier, était parti à sa poursuite. Et à moins que ce gibier ne l’entraînât très loin dans les bois, l’Indien serait revenu, pour le déjeuner.

Ainsi pensa le capitaine, qui ne se préoccupa pas autrement. Il sortit pour se rendre aux étables. Le soleil n’était pas encore levé, ce n’était que le point du jour. Deux heures après, le déjeuner rassembla les trois membres de la famille. Le capitaine avait encore sa mine réjouie de la veille. Dame Dumont offrait une physionomie d’une parfaite sérénité. Quant à Louise, son visage paraissait un peu fatigué et pâli, mais ses lèvres étaient souriantes. Max n’avait pas reparu.

— C’est assez curieux, fit observer le capitaine, jamais il ne se fait attendre.