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LA GUERRE ET L’AMOUR

général, oui, tout cela jurait fort, trop fort avec les bâtiments de troncs de cèdre écorcés. Ces constructions, en effet, présentaient une nudité, une rugosité qui déparait l’ensemble et demandait quelques atours et artifices susceptibles de leur donner une physionomie agréable. Tout de suite Max voulut remédier à cette rusticité trop primitive qui donnait au tableau une figure fort disparate. Il rassembla dans un champ des pierres blanches dont il fit un tas ; puis il bâtit un four très rudimentaire, chauffa ces pierres et en obtint de la chaux. Avec cette chaux, qu’il détrempa, il badigeonna les murs extérieurs des constructions, si bien que tous les bâtiments, sous cette couche de blanc immaculé, se dressèrent avec une heureuse harmonie au sein de la splendide touffe de verdure sombre.

Il va sans dire que les félicitations et les éloges ne manquaient pas au jeune Micmac ; mais les louanges le laissaient indifférent, s’en souciant peu ou prou, à moins qu’elles ne vinssent de Louise. Le bonheur de la jeune fille suffisait à faire son propre bonheur. Et s’il aimait à se rendre utile et agréable à tout le monde, il s’arrangeait néanmoins pour que Louise fût servie la première.

Cette décoration extérieure de la maison et des étables donna à l’Indien, au bout de quelques jours, l’idée de décorer aussi l’intérieur de l’habitation qu’on avait divisée en six pièces. Il se mit à l’œuvre. Il connaissait certaines pierres tendres et certains coquillages qu’on trouvait sur le bord de la mer. Il pulvérisa ces pierres et coquillages de couleurs diverses, mélangea cette poudre à une sorte d’ocre trouvée dans le sol de la forêt, et de ce mélange il obtint une couleur qui hésitait entre le rouge et le violet. Mais ce n’était pas suffisant. Il voulut du bleu, du vert et du jaune, et avec le blanc qu’il possédait déjà il réussit à faire ces couleurs ou ces peintures. Mais avec quoi les appliquer, ces peintures ? Il fallait des pinceaux, et on n’en avait pas. Bah ! la queue du mulet était là, à portée de Max, et une poignée de crins lui fournirait le poil requis. Là encore, mais non sans peine, il réussit à fabriquer un pinceau. Il se mettait bientôt à peinturlurer tout l’intérieur de la maison de couleurs vives, criardes très souvent, mais gaies. Ici, il ne faut pas penser que peintures et pinceaux lui venaient de sa seule imagination. Souvent il avait vu Louise, à son chevalet, peignant des paysages, et cela lui avait suffi.

Puis, avec des herbes marines, sorte de joncs très flexibles, Max s’était mis à tresser des tapis en forme de cercle, de carré ou de losange. Il teignit ensuite ces tapis en rouge, bleu et vert. Dès lors, avec le mobilier en noyer noir, les tapis de laine de couleurs bien nuancées, des paysages peints par Louise ou dessinés au pastel, la nouvelle habitation du capitaine Dumont, prit une physionomie de confort quasi luxueux, confort qu’on me connaissait certainement pas parmi la paysannerie de toute l’Acadie. Dans l’Île Saint-Jean, en particulier, c’était du vrai faste mis en regard de la pauvreté des colons. On ne pouvait pas s’attendre, d’ailleurs, à trouver là la richesse, en cette terre encore vierge et neuve et, à vrai dire, inhabitée. Car, hormis la petite colonie de la Pointeaux-aux-Corbeaux sur la côte sud, seule la côte nord était habitée en deux ou trois endroits par des familles de Micmacs et de Sakokis. Ces derniers, préférant le voisinage des Français à celui des Anglais, avaient, quelque dix ans auparavant, quitté les colonies anglaises, leur première patrie, et s’étaient répandus un peu partout en Acadie, Donc, parmi une si pauvre et si chétive population il fallait peu de chose au premier venu pour prendre figure de bourgeois, voire de richard.

Mais Louise avait cherché un nom à donner au nouveau domaine. Comment l’appellerait-on ? Là, l’imagination de Max avouait son incapacité. Louise contemplait souvent les admirables cèdres qui dressaient fièrement leur somptueuse ramure autour de l’étang, et l’idée lui vint de donner à l’endroit le nom de « Cédrière ». De ce moment, on disait dans la colonie, en parlant des réfugiés de Louisbourg, « les gens de la Cédrière ». Assez souvent, les beaux dimanches par exemple, des habitants du hameau acadien venaient rendre visite aux gens de la « Cédrière », et chaque fois ils s’émerveillaient de la beauté des lieux. Pour ces pauvres gens qui n’avaient jamais, pour la plupart, connu l’aisance, c’était une véritable splendeur. Aussi bien, le capitaine Dumont se voyait devenir le « seigneur » du pays, et chacun lui marquait le plus grand respect. On savait du reste qu’il avait apporté de Louisbourg un respectable tas d’écus.

Quoi qu’il en fût et pour revenir à Max, on serait porté à penser que le jeune Indien avait épuisé son « sac à trouvailles ». Erreur, Max n’avait pas fini d’exercer ses dons et ses talents au profit de ses maîtres et pour le plaisir de celle qu’il aimait. Louise avait fait de sa chambre, un peu étroite, une sorte de petite chapelle ornée d’images sain-