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LA GUERRE ET L’AMOUR

Durant un mois le capitaine s’était de la sorte martelé l’esprit, et voici qu’on venait lui proposer une nouvelle lâcheté. Ah bien ! non. Pas celle-là. C’en était assez de l’autre. Pour un peu il allait rentrer à Louisbourg…

Louise crut deviner ce qui se passait sous ce crâne blanchi à travers les ouragans de la mer, et elle voulut émettre tout de suite son avis, sachant la confiance que son père avait en elle.

— Je pense, père, qu’Olivier et Aurèle ont eu une très bonne idée. Voilà un conseil que nous ne saurions mal accueillir…

— Je suis du même avis, dit la mère à son tour. Il faut s’attendre aux pires calamités, si les Anglais s’emparent de Louisbourg ou en deviennent les maîtres par la capitulation. Alors, maîtres du pays tout entier, ne finiront-ils pas par nous découvrir ici ? Et puis, nous ne pouvons pas vivre indéfiniment dans cette anse solitaire. Lorsque nos provisions seront épuisées, il faudra bien nous rendre à la ville pour les renouveler. Qu’arrivera-t-il alors ? D’une manière ou d’une autre, nous ne sommes plus en sûreté ici.

Le capitaine releva la tête et, s’adressant à Olivier :

— Tu as nommé l’île Saint-Jean, dit-il. Crois-tu que ce serait pour nous le meilleur et le plus sûr refuge ?

— Je ne veux rien affirmer, mais je ne vois pas d’autre endroit dans nos parages. À moins que vous ne préfériez le Canada… Le choix que nous avons fait de l’île Saint-Jean ne vient pas de moi ni d’Aurèle, c’est Max qui l’a nommée et il doit s’y connaître. N’est-ce pas, Max ?

— Hun ! hun !… fit l’Indien en secouant la tête affirmativement. Il ajouta avec une conviction très forte :

— L’île Sant-Jean est un bon pays. Belles forêts, gibier abondant, longues rivières, grands lacs, beaux pâturages. Des frères blancs sont là, heureux et dans l’abondance.

Max regardait Louise en parlant ainsi. Il semblait lui demander son approbation. Et Louise l’approuva.

— Je crois que Max dit la vérité, reprit la jeune fille. Et cette île Saint-Jean, que je ne connais que de nom, savez-vous, père, qu’elle m’attire déjà ? J’ai comme un pressentiment que là seulement est notre salut.

— Comme Louise, reprit Olivier, je ne connais que le nom de cette île. Mais j’ai entendu des gens en parler avec avantage. On m’a assuré qu’il s’y trouve, ainsi que le dit Max, plusieurs familles acadiennes, venues pour la plupart de Port-Royal et de ses environs, qui ne pouvaient souffrir la domination des Anglais. On dit que ces gens prospèrent rapidement dans une tranquillité et une paix parfaites.

Le capitaine secouait la tête et n’avait pas l’air convaincu. Olivier poursuivit :

— Je suis certain, capitaine, que vous trouverez là toute la sécurité possible en attendant que l’orage qui passe sur nous se soit éloigné. Si, par hasard, il arrive que nous décidions de tenir tête à l’ennemi et de ne pas capituler, et que nous réussissions à sauver le pays de la conquête, vous n’auriez qu’à revenir et à vous remettre à la pêche. Si, d’un autre côté, nous posons les armes et rendons la ville, comme tout le fait présager actuellement, vous serez là-bas à l’abri des risques de la capitulation. Aurèle et moi, bien entendu, nous resterons avec la garnison jusqu’au bout. En cas de reddition de la place, nous vous rejoindrons à l’île Saint-Jean.

— Et Max, demanda le capitaine, que va-t-on en faire ?

— J’ai amené Max tout exprès, certain que j’étais que vous accepteriez notre plan, parce qu’il est compris que Max vous accompagne pour vous aider à la manœuvre en mer et, là-bas, pour vous servir de guide et de serviteur. Max vous est dévoué et vous pouvez vous fier à lui. N’est-ce pas, Max ?

L’indien fit un geste qui signifiait clairement qu’on pouvait compter sur lui. Louise, qui l’observait, croyait percevoir sur ses traits cuivrés l’expression d’une grande joie.

En vérité, l’Indien se réjouissait intérieurement. Si le capitaine acceptait le plan proposé, Louise serait peut-être pour à jamais séparée de son fiancé, et Max, dès lors, saurait mettre à profit cette occasion pour faire sa conquête. Max était loin d’être désintéressé dans cette affaire, car il aimait Louise en secret et ne souhaitait que la disparition du fiancé pour se mettre à sa place. Il avait donc, croyait-il, tout intérêt à donner son appui au projet d’Olivier. Tout de même, une inquiétude pesait sur son esprit : sachant le capitaine joliment têtu, il craignait de le voir rejeter le projet.

Or, en observant la physionomie du pêcheur, à ce moment précis, on n’aurait osé faire de pronostics sur ses décisions prochaines. Il pensait durement et profondément. Pas de doute qu’une âpre lutte se livrait dans son esprit. Silencieux et paupières closes, il tirait avec force de sa pipe éteinte d’imaginaires bouffées. Il lui fallut un long moment pour prendre une décision, et chacun des personnages présents eut grand soin