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LA GUERRE ET L’AMOUR

le vieux marin aimait vraiment sa femme et sa fille, lui, comme chef de famille, devait prendre et garder la responsabilité de ces deux vies humaines ; là était son unique devoir de citoyen et de chrétien. Quant à Louise, sa jeunesse lui commandait d’accompagner ses vieux parents et de veiller sur eux. Le seul et unique devoir pour elle était là.

Soit, chacun ferait son devoir. Pourtant, après l’objection vaincue, restait à vaincre un obstacle, un obstacle matériel et non des moindres. Comment sortirait-on de la ville ?

La place n’avait qu’une seule issue, le pont-levis. Pour prévenir la désertion des soldats, cette issue était gardée nuit et jour par de jeunes officiers dévoués à Duchambon et à Bigot. Qui eût tenté d’approcher le pont-levis pour l’abaisser aurait été abattu à l’instant. Donc, impossible de sortir de la ville.

Mais là encore Olivier renversait l’obstacle comme il avait détruit l’objection : grâce à l’appui d’un ami, fonctionnaire influent, il s’engageait à faire sortir de la ville assiégée le capitaine, sa femme et sa fille.

Et non seulement, ajoutait le jeune homme, vous mettez votre vie à l’abri, mais encore vous pourrez sauver votre mobilier en le transportant sur votre bateau. Vous n’allez pas croire, j’imagine, que les Anglais rebâtiront votre maison, vous paieront en argent la valeur de vos meubles brisés ou brûlés ou les remplaceront par des neufs. Nous devons défendre et protéger nos biens comme nous défendons nos vies, par tous les moyens possibles.

Une fois la décision prise, on convainc qu’il fallait agir tout de suite, une catastrophe irréparable pouvant se produire à tout moment. C’est pourquoi Olivier se rendit immédiatement chez son ami, qu’il trouva en conférence avec des officiers. Il obtint sans difficulté la permission et toutes les facilités voulues pour faire sortir ses amis de la place. Et cette nuit-là même afin de profiter de l’opaque obscurité qui régnait sous un ciel couvert de nuages, une charrette, tirée par un cheval de trait, transporta le pêcheur et les deux femmes à la crique où était ancrée l’Aurore. Du même coup on avait emporté presque toute la lingerie de la maison. La nuit suivante, à la faveur de la même obscurité, tout le mobilier fut transporté à la crique. Max resta avec le capitaine pour l’aider à construire un radeau et à faire le chargement des meubles sur la barque. Il fallut trois jours aux deux hommes pour mener à bien cette besogne. Enfin, la petite famille se trouva installée assez commodément sur la barque, où elle pouvait vivre en toute tranquillité.

Olivier avait été bien avisé de mettre ainsi en sécurité Louise et ses parents, car cinq jours, après il ne restait plus de la maison du capitaine qu’un amas informe de pierres.

Et à mesure que le siège se prolongeait Louisbourg devenait ruines et décombres. Ses murailles elles-mêmes, ne résistaient pas au choc des boulets de fer et elles s’affaissaient peu à peu. On manquait de matériaux pour les réparer, et l’on était réduit aux expédients les plus invraisemblables. Les chefs s’obstinaient toujours dans leur refus de lancer la garnison contre les postes ennemis, dernière chance de salut.

Duchambon et Bigot, avec leur entourage, préparaient en secret les termes d’une capitulation. Malgré les précautions prises à ce sujet, Olivier Rambaud avait pu obtenir certains renseignements qui ne lui laissèrent aucun doute sur les événements prochains.

Un soir, accompagné de Max, qui était revenu à la ville pour reprendre son poste de combat et trois jours, justement, avant la reddition de la ville, Olivier vint rendre visite à ses amis réfugiés sur la barque de pêche.

On était là depuis un mois déjà, un mois qui avait paru bien long aux trois réfugiés. L’existence, dans cette anse solitaire, n’était pas très gaie. Sans nouvelles, ou à peu près, de la ville et de ses habitants, continuellement tenus en émoi par les bruits de la guerre, les lueurs d’incendies, le fracas des canons que les échos, parmi ces bois et ces rochers, semblaient grossir, les trois réfugiés vivaient dans une inquiétude pire que celle qu’ils avaient éprouvée dans l’enceinte de la forteresse. Ils s’inquiétaient d’Aurèle, d’Olivier, et aussi des événements proches ou lointains qui décideraient de la bonne ou de la mauvaise fortune. Cette inquiétude se faisait d’autant plus intolérable que les occupations régulières et quotidiennes leur manquaient.

Olivier trouva Louise amaigrie et pâlie, avec un sourire chargé d’amertume, des yeux pleins de tristesse, une voix dont le timbre clair ne résonnait plus comme autrefois, mais avec un accent étouffé et morne. Louise avait tout l’air d’une malade en convalescence. Et puis, il y avait plus de quinze jours qu’Olivier n’était pas venu, et l’angoisse l’avait à demi tuée. À la vue du jeune homme, si réservée qu’elle fût d’ordinaire, elle ne put, dans sa joie s’empêcher de courir à lui et de se jeter dans