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IV


Au Château Saint-Louis, dans la salle des audiences, deux cadavres étaient étendus sur le parquet, et près de ces cadavres, à genoux et toute vêtue de noir, une femme pleurait.

Le gouverneur Murray était là, debout, les mains appuyées au dossier d’un fauteuil, laissant ses regards humides attachés sur la femme en noir.

Une pendule tinta la demie de onze heures.

Le plus grand silence régnait dans tout l’édifice.

Murray s’approcha de cette femme en pleurs et dit :

— Madame, voulez-vous que je vous fasse conduire dans une chambre où vous vous reposerez quelques instants ?

La femme leva sur le gouverneur son visage mouillé de larmes et balbutia d’une voix éteinte :

— Excellence je vous demande seulement de venger mon mari et mon fils, après… oui, après j’irai mourir à mon tour dans ma maison en deuil.

— Mais votre fils, madame, je vous l’ai dit, n’est pas mort !

— Ah ! Excellence, n’est-ce pas un vain espoir que vous essayez de donner à une épouse et une mère désespérée ?

Une main frappa doucement dans une porte.

Murray alla ouvrir. Un domestique précédait une jeune fille toute en larmes… c’était Thérèse.

Elle courut aux cadavres et se prosterna auprès de l’un en criant :

— Oh ! Étienne ! Étienne… les misérables t’ont assassiné aussi, comme ils ont assassiné ce bon capitaine Aramèle !

Alors, la femme en deuil se leva, s’approcha de Thérèse, se pencha, prit la jeune fille dans ses bras et demanda :

— Thérèse, ne me reconnaissez-vous pas ?

La jeune fille se pendit aussitôt au cou de cette femme en murmurant :

— Ah ! madame DesSerres, quel terrible malheur nous frappe tous !

Elle venait d’apercevoir le corps inanimé de M. DesSerres.

Elle se leva et laissant tomber sa tête blonde sur l’épaule de Mme DesSerres, elle balbutia, la voix éteinte :

— Madame, je sens que je vais mourir à mon tour !

— Non, Thérèse, ne mourrez pas maintenant, car j’ai demandé vengeance !

— Vous serez vengées bientôt ! dit une voix sombre derrière les deux femmes.

Murray était encore là. Il donna des ordres rapides et à voix basse au domestique qui avait amené l’orpheline, et le domestique s’éloigna.

— Et Léon ? interrogea d’une voix tremblante Thérèse.

— Je ne sais pas où il est, répondit Mme DesSerres : mais le gouverneur m’a assurée qu’il est vivant !

— Vivant !… murmura Thérèse. Oh merci, mon Dieu, de l’avoir épargné, lui au moins… Et elle s’agenouilla de nouveau auprès du cadavre de son frère, tandis que Mme DesSerres, épuisée, tombait dans un fauteuil que Murray avait approché.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un quart d’heure s’écoula.

Le domestique, à qui Murray avait donné des ordres, reparut et lui parla à voix basse.

— C’est bien, dit Murray, allez et faites amener le prisonnier.

La minute d’après, Whittle entrait conduit par quatre soldats.

À la vue des deux cadavres et des deux femmes en pleurs il se troubla et devint très pâle, et il comprit que son sort était fixé.

Murray le fit approcher et demanda d’une voix sourde :

— Whittle, reconnaissez-vous ces deux victimes ?

Le major vit l’accusation venir, après l’accusation ce serait la condamnation. Il décida de faire face à l’orage et de sauver sa tête, et, calme et froid, il répondit :

— Non, Excellence, je ne connais pas ces cadavres. Mais ce qu’il importe de savoir à cette heure, c’est le motif qui me fait amener ici ainsi escorté.

Whittle avait pris un air arrogant en désignant les quatre soldats qui l’entouraient.

— Ah ! ah ! fit Murray en élevant la voix, vous voulez savoir pourquoi, par mes ordres, vous êtes amené ici ? Eh bien ! sachez-le, vous êtes accusé d’avoir assassiné ou fait assassiner ces deux personnes ainsi que le capitaine Aramèle !