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de coteaux verdoyants, de plaines magiquement fleuries, unissait l’intérieur du pays aux mers immenses ; et dans ces plaines, ces vallées, sur ces coteaux et ces collines croissait un peuple fort et vigoureux… un autre peuple français ! Ensuite, les regards d’Aramèle se reposaient sur la cime légèrement embrumée de monts sereins et majestueux ; ses regards sondaient des forêts dont les bois pouvaient être inépuisables, ils scrutaient l’infinie richesse du sol, ils s’extasiaient devant la vision sublime d’un paradis terrestre ! Et penser devant la vision sublime d’un paradis terrestre ! Et penser et se dire que la France venait d’abandonner à l’Angleterre un si précieux domaine !…

Non… ce n’était pas possible que la France ne revînt pas un jour réclamer sa propriété qui demeurait toute imprégnée de son souffle et de sa vie !

Elle reviendrait…, oui, elle reviendrait !

Le capitaine Aramèle essayait de se persuader de cette vérité, et il demandait à l’avenir d’écarter pour un moment le voile de ses mystères, afin qu’il y pût voir la réalisation, fût-elle même lointaine, de ses souhaits et de ses espoirs.

Sa méditation fut troublée par le passage de deux officiers des régiments anglais.

Ceux-ci, à la vue du capitaine dont ils connaissaient la volonté réfractaire et la haine du régime nouveau, s’arrêtèrent. L’un d’eux, portant les galons d’un major, prononça sur un ton orgueilleux et péremptoire :

— Salut au drapeau d’Albion !

— Ce drapeau, répliqua Aramèle sans se départir de son calme et encore à demi rêveur, je ne le connais pas.

— Il te domine !

— Je ne le regarde pas !

— Il te commande !

— Je ne le sers pas !

— Il te condamne !

— Je suis libre comme cette épée !

Et Aramèle jeta un regard ardent à la rapière pendue à son côté.

— Cette épée, reprit le major anglais avec plus de sévérité, tu n’as pas le droit de la porter !

— J’en suis pourtant bien le seul maître ! rétorqua froidement Aramèle.

— On te la prendra !

Aramèle fit claquer sa main fine et nerveuse sur la poignée luisante d’usure.

— Qu’on y touche ! répéta-t-il.

Et, très fier, il tourna le dos aux deux officiers anglais et poursuivit sa marche que, tous les matins à même heure, il aimait faire par les rues désertes de la cité.

Le major avait lancé au capitaine un regard chargé de haine, et il avait demandé à son compagnon :

— Eh bien ! Sir Georges, comprenez-vous enfin qu’il est intraitable ?

— Et irréductible ?… sourit dédaigneusement l’autre. Bah ! Whittle, nous en viendrons bien à bout un jour ou l’autre !

Ces paroles dédaigneuses cachaient une menace terrible contre Aramèle qui ne les entendit pas, et qui ne vit pas les regards haineux peser sur lui. Mais eût-il entendu et vu qu’il ne se fût pas troublé le moins du monde. Il y était habitué.

Depuis trois ans on désarmait ceux qui ne voulaient pas servir sous le drapeau anglais, et depuis trois mois le général Murray, gouverneur du Canada, ordonnait à ceux qui refusaient de prêter le serment d’allégeance de sortir de la ville, de quitter le pays, de s’en aller en France. Plusieurs étaient partis, c’est-à-dire tous ceux à qui il avait répugné de prêter serment et de jurer soumission et obéissance. Aramèle avait refusé de partir, ou plutôt il n’était pas parti tout en refusant le serment exigé. On l’avait menacé vingt fois, peut-être cent fois, il s’était obstiné.

— Je suis français, disait-il avec son grand calme de soldat aguerri, je ne peux être anglais !

— Oui… mais l’Angleterre est à présent maîtresse ici, ce pays lui appartient par droit de conquête !

— Elle a pu conquérir le pays, répliquait froidement Aramèle, mais non pas les habitants : je ne suis pas conquis, moi, je suis français et libre !

— Il faut pourtant bien vous soumettre, de gré ou de force !

— On ne soumet pas de force, parce que la force d’un homme c’est sa pensée. Or, ma pensée est française, et elle résistera à la force, elle résistera à la mort !

Cette réplique épuisait les arguments.

Néanmoins il fallait vivre en attendant que la France revint… Aramèle n’était pas riche. Il n’avait pas touché sa solde de soldat du roi de France, il ne la toucherait jamais. Ou plutôt on l’avait à demi payé avec une sorte de monnaie de papier que des exploiteurs anglais achetaient pour une pincée de menue monnaie. Donc Aramèle