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Il pensa que c’était la robe blanche de Thérèse.

Les fuyards venaient de tourner à gauche sur une rue très noire, Aramèle s’y jeta sans diminuer sa course. Puis il se trouva sur une place obscure également. Il vit les mêmes êtres qui traversaient la place rapidement, puis il les perdit de vue.

Quand il s’arrêta, essoufflé, le capitaine se trouva devant les murs gris d’un ancien édifice à demi-démoli lors du bombardement de la cité en 1759. Il remarqua tout autour des échafaudages et comprit qu’on était en train de relever ce bâtiment de ses ruines. Aramèle examina attentivement la façade de l’édifice, cherchant une entrée. Car ceux qu’il avait poursuivis jusque-là avaient pénétré dans ce bâtiment, il en était sûr. Mais par où ? Il passa sous un échafaudage, grimpa sur un amas de matériaux quelconques et se trouva devant un trou noir qui lui parut le cadre d’une porte. L’intérieur était si noir aussi qu’il lui sembla impossible de s’y diriger. Mais là, devant lui, qu’était-ce que cette vague lueur ? N’était-ce pas un rayon de lumière ? Peut-être ! Aramèle pénétra tout à fait dans le bâtiment. Il heurta des tas de planches, des amas de pierres, buta, et se trouva marcher dans un long et large corridor. Devant lui il pouvait voir le même rayon de lumière. Au bout de quelques minutes il s’arrêta devant une porte entre-baillée, c’est de là que partait cette lumière. Qu’y avait-il là ? Le plus grand silence régnait partout. Aramèle poussa doucement la porte. Il vit un couloir étroit, et à une extrémité de ce couloir une autre porte tout ouverte. Par cette dernière porte la lumière apparaissait un peu plus vive.

Avant de s’aventurer plus loin, le capitaine prêta une oreille attentive, car il lui avait semblé entendre, une fois, comme une respiration humaine, à moins que ce ne fût un sanglot étouffé… Oui, il entendait plus distinctement maintenant, et c’était bien des sanglots qu’on cherchait à retenir. Allons !… À pas de loup le capitaine enfila le couloir pour s’arrêter l’instant d’après dans la seconde porte. Il vit une vaste salle, nue et sans mobilier, éclairée par une unique lampe. Mais à l’extrémité opposée de cette pièce Aramèle aperçut une forme blanche étendue sur une couche quelconque… un grabat peut-être. Mais ne reconnaissait-il pas Thérèse à sa robe ? Certainement ! Il tressaillit et s’émut… la jeune fille paraissait sangloter.

— Thérèse ! Thérèse ! chuchota Aramèle.

La jeune fille ne parut pas entendre.

— Thérèse ! répéta plus fort le capitaine.

Cette fois l’orpheline se leva brusquement, et, reconnaissant Aramèle, elle cria :

— Retirez-vous, Aramèle, ils vont vous tuer !

Le capitaine poussa un rugissement terrible et s’élança vers Thérèse. Mais il s’arrêta à mi-chemin, en voyant trois portes s’ouvrir brusquement. Une de chaque côté de la salle, et l’une au fond, où était Thérèse. Par cette porte du fond, parut un homme masqué qui braqua sur la jeune fille un pistolet et dit d’une voix sombre :

— Si vous faites un pas de plus, capitaine Aramèle, je la tue !

Par les portes des côtés le capitaine avait vu deux soldats portant chacun un flambeau, et dix autres armés de fusils, et ces soldats étaient également masqués. Les dix soldats armés formèrent un peloton à gauche d’Aramèle, et les deux soldats portant des flambeaux se postèrent, l’un devant le capitaine, à dix pieds environ, l’autre derrière à une égale distance : de sorte que la lueur des flambeaux éclairait vivement le capitaine.

Aramèle eut le pressentiment qu’il venait de donner dans la gueule du loup. Il rugit, et la rapière menaçante voulut se précipiter sur l’homme qui menaçait Thérèse d’un pistolet.

Celui-ci cria :

— Prenez garde de vous rendre responsable de sa mort !

En même temps que ces paroles, Aramèle le voyait presser la détente. Il s’arrêta, indécis, tremblant, et fit entendre un grondement de colère impuissante. Puis il cria :

— Misérable ! que voulez-vous faire de cette jeune fille innocente ?

Thérèse pleurait, mais elle n’avait pas l’air d’avoir peur pour sa propre vie.

— Attendez, répliqua l’homme masqué avec un sourd ricanement, vous allez le savoir !

Il s’approcha tout près de Thérèse et lui parla à voix basse, et le capitaine comprit que cet homme avait proféré des menaces à la jeune fille. Celle-ci avait courbé la tête pour se remettre à pleurer.

Puis l’homme s’écarta de la jeune fille et fit un geste aux soldats. Cinq d’entre