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Or, à cette minute même, Whittle complotait déjà la mort du capitaine Aramèle.


II


Les régates, qu’on avait mises au programme pour ce jour-là et qui devaient faire suite au combat singulier, n’eurent pas lieu : le dénouement terrible de ce combat avait troublé tous les esprits.

Le cadavre de Sir James Spinnhead avait été transporté aux casernes de la Porte Saint-Louis et exposé sur un lit de parade en attendant l’inhumation qui aurait lieu le lendemain.

La population campagnarde, comprenant que la fête était finie, avait repris le chemin de la campagne en emportant le souvenir de la belle victoire française gagnée par Aramèle.

Toutefois, afin de diminuer dans les esprits l’impression pénible ou désagréable qu’avaient causé la défaite et la mort de Spinnhead, Murray avait tenu que le feu d’artifice, commandé pour terminer les fêtes du jour, aurait lieu quand même à l’heure fixée.

Et ce soir-là était précisément une de ces superbes soirées de printemps, brillamment illuminée d’étoiles, tiède et parfumée, et elle invitait à quitter la maison pour aller dans la nuit sereine respirer le calme et les parfums de la nature. Partout la joie semblait renaître, et l’on eût dit que l’événement tragique de l’après-midi avait été oublié.

À neuf heures une salve d’artillerie retentissait au Fort Saint-Louis.

Aux abords du Château, tout illuminé, une musique vibrante de fifres et de cornemuses exécutée par les Highlanders attira la masse joyeuse des citadins. L’on vit dans la rade les navires de guerre s’illuminer soudainement et projeter dans l’espace d’immenses gerbes de feux multicolores. Alors aussi des hauteurs qui dominaient le Fort Saint-Louis partirent les premières fusées qui s’élancèrent gracieusement dans le ciel étoilé. Des vivats et des clameurs joyeuses accompagnaient chaque éclatement de fusée.

C’est au moment où la première fusée était lancée qu’Aramèle, après un copieux et joyeux dîner en son logis de la basse-ville, gagna la haute-ville accompagné de M. DesSerres et son fils, d’Étienne et de Thérèse ; ils allaient, eux aussi, assister aux dernières réjouissances du jour. Les rues et les places publiques étaient encombrées de foules bruyantes et heureuses, et si compactes qu’on avait peine à se faire un chemin. Aramèle et ses amis s’arrêtèrent sur la Place de la Cathédrale, d’où l’on pouvait voir très bien le feu d’artifice et où se pressait une masse compacte de curieux.

Une heure se passa.

Puis, au tintement de dix heures à un beffroi voisin, une nouvelle salve d’artillerie éclata du côté du Fort, toutes les lumières du Château, des navires sur la rade et des principaux édifices s’éteignirent. C’était le signal que la fête était finie, et le peuple était invité par ce signal à regagner ses foyers.

Déjà Aramèle s’ouvrait un chemin dans la masse de citadins remuante, lorsqu’il se produisit derrière lui une vive bousculade. Des cris de femmes et d’enfants emplirent l’espace, des jurons retentirent, puis Aramèle était brutalement culbuté, repoussé et séparé de ceux qui le suivaient. Il promena autour de lui un regard rapide pour essayer de découvrir, parmi les êtres affolés qui tourbillonnaient, M. DesSerres ainsi que Léon, Étienne et Thérèse. Mais il ne pouvait distinguer que des silhouettes diffuses qui se mêlaient, couraient, se heurtaient, et il ne pouvait entendre que des cris de frayeur et des plaintes. Tout à coup, à l’entrée d’une ruelle très sombre non loin de lui Aramèle entendit une voix de femme lancer dans la nuit un cri d’effroi, puis cet appel désespéré :

— Au secours !

Aramèle, en frémissant, reconnut la voix de Thérèse.

Un remous se fit, une bousculade plus terrible se produisit. Aramèle tira sa rapière et fendit la masse effarée, épouvantée, et il s’élança vers la ruelle.

La voix de Thérèse arriva encore à lui :

— Aramèle ! Aramèle !…

La voix mourut plus loin dans la ruelle.

Le capitaine crut comprendre que des malandrins venaient d’enlever Thérèse et l’emportaient dans la nuit. Il lui sembla que des ombres humaines fuyaient, non loin, devant lui. Mais étaient-ce les malandrins ou seulement des citadins effrayés ? Aramèle courait de toute l’agilité de ses jambes, suivant à tout hasard ces êtres qui fuyaient. Il n’entendait plus aucune voix de femme s’élever, mais de temps à autre il croyait percevoir quelque chose de blanc.