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et s’élançait dans une ruée formidable, et l’on vit l’épée de Spinnhead flamboyer, puis ruser et fondre en un coup droit terrible et vertigineux contre le capitaine. Ce geste avait été si rapide, il avait été si fulgurant, si menaçant qu’un cri était parti de la foule. Et cette foule, malgré elle, avait fermé les yeux pour ne pas voir cette chose trop horrible : le corps du Français percé d’outre en outre. Mais rien de tel ne se produisit. La foule rouvrit aussitôt les yeux, lorsqu’elle entendit un vif froissement de fer, très rapide, et, un peu ahurie, elle constata qu’Aramèle était toujours debout, face à Spinnhead qui essayait mille feintes plus ou moins savantes, et qui exécutait autour du capitaine une série de sauts prodigieux. Aramèle se tenait sur la défensive, parant chaque coup, déroutant chaque feinte avec une merveilleuse habileté. Cinq minutes se passèrent ainsi sans que l’un ou l’autre des deux adversaires parût avoir l’avantage.

Seulement Spinnhead semblait un peu essoufflé, et l’on put constater que son jeu ralentissait sensiblement, que son sourire ironique s’effaçait peu à peu, que ses lèvres blêmissaient et se serraient sur ses dents. Et dans toute la masse des spectateurs attentifs parut se dégager cette impression qu’Aramèle, après tout, n’était pas le moins habile des deux. Et plus le masque de Spinnhead s’altérait, plus le doute s’établissait dans l’esprit de ceux qui avaient parié en sa faveur.

Mais Spinnhead, lui, que devait-il penser ?

Une chose certaine, il ne connaissait pas Aramèle lorsqu’il avait accepté avec empressement de le désarmer en combat singulier « devant la face du monde entier », comme il avait dit, quand le major Whittle lui en avait fait la proposition. Non… il ne connaissait pas la valeur d’Aramèle à l’escrime, il commençait seulement de la connaître, mais peut-être trop tard ! Et le capitaine se battait sans ostentation, méthodiquement, froidement, tout comme s’il se fût trouvé en sa salle d’armes donnant une leçon, c’est-à-dire qu’il veillait à ne pas commettre la moindre faute.

Après quelques passes plus lentes, Spinnhead dégagea soudain sa lame, recula de deux pas, puis exécuta un saut en avant, et durant quelques instants il manœuvra en une séries de feintes si vives qu’on ne distinguait plus la lame de sa rapière. Puis, comme un ressort longtemps tendu qui se relâche, il se fendit à fond et porta un coup effrayant à l’abdomen d’Aramèle. Un choc formidable d’acier fit tressaillir toute l’immense foule… la rapière d’Aramèle avait rencontré celle de Spinnhead. De suite il s’était produit dans l’assistance comme une immense détente ; et ceux qui avaient quelques notions de l’escrime se doutaient que Spinnhead venait de mettre en jeu une de ces bottes savantes impossibles à déjouer et toujours mortelles. Et pourtant Aramèle avait bloqué la botte. Spinnhead, le premier, en était demeuré tout étourdi, après s’être rejeté en arrière pour ressaisir l’haleine qui lui manquait. Mais il ne fut pas longtemps au repos ; la traîtresse botte avait allumé la colère d’Aramèle.

— Ah ! ah ! s’était-il dit, monsieur l’Anglais en veut des bottes secrètes ? Eh bien ! je vais lui en faire voir quelques-unes qui ne manqueront pas de l’intéresser !

Et le capitaine s’était de suite élancé à l’attaque. Son tour était venu. L’occasion s’offrait et il la prenait. C’est de cette minute seulement, pour dire vrai, que le combat devint intéressant. L’épée qu’on voyait, à présent, voltiger vive et rapide comme un éclair, ce n’était plus celle de Spinnhead, mais la rapière d’Aramèle. Spinnhead était forcé à la parade, mais sa parade était bien moins habile que son attaque. Et pour être juste, il ne parait pas, selon les lois de l’escrime, il esquivait ou essayait d’esquiver les coups du capitaine par des sauts à gauche ou à droite. Puis il reculait, et, toujours audacieux, il fonçait en avant pour reprendre l’offensive ; mais il trouvait toujours devant lui la rapière menaçante du Français, prête à le frapper à mort. Et Spinnhead suait à grosses gouttes, on l’entendait hoqueter, et sans cesse la rapière d’Aramèle, sans perdre rien de sa vigueur ni de sa rapidité, semblait chercher obstinément un point pour frapper à coup sûr.

Et soudain un grincement d’acier se produisit, une longue exclamation de stupeur partit de toute la foule des spectateurs, on venait de voir une lame brillante voler dans l’espace, puis retomber à vingt pieds des combattants : Spinnhead était désarmé !

Aramèle, aussitôt, avait fait trois pas en arrière, il avait planté la pointe de sa lame en terre, et, comme toujours, il était demeuré calme et froid comme si rien d’important n’était survenu.

Et toute l’assistance était demeurée silen-