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guerrières, comme aux éclats de joie de la population.

De la campagne arrivaient à la file des cabriolets, des calèches, des berlines, toutes espèces de véhicules remplis de campagnards canadiens qui venaient, non pas commémorer la conquête de leur pays par les Anglais, mais pour assister au fameux tournoi des deux champions qui représentaient les deux plus grandes races de l’univers. Car ces campagnards, s’ils étaient des Canadiens, n’en étaient pas moins des Français qui n’oublieraient pas leur ancienne patrie. Ils accouraient donc avec l’espoir d’acclamer la victoire de la France qu’Aramèle était censé tenir en sa main habile.

Ils arrivaient bellement endimanchés. Les femmes surtout portaient leurs plus belles parures des jours anciens, parures qu’on avait tirées précieusement de vieux coffres de chêne. À voir ces femmes ainsi parées on se serait cru sous le régime français, tant elles faisaient ressusciter, ainsi parées, la vieille mode française. Et depuis l’instant où cette foule rustique avait envahi la cité, celle-ci avait repris son air français : c’était encore la citadelle de la Nouvelle-France d’où résonnait le beau et clair verbe de France !

Aramèle exultait. Il se pensait revenu aux temps glorieux de la Nouvelle-France, et sur son toit flottait le grand drapeau des rois de France.

À midi de ce jour, M. DesSerres avait réuni en sa demeure pour un somptueux dîner Aramèle et ses deux enfants adoptifs ; il désirait souhaiter au capitaine la victoire qu’allait lui disputer le célèbre Spinnhead.

Ce tournoi avait été fixé pour deux heures précises, hors les murs de la ville, en cet endroit où s’étaient déjà rencontrées les armées de la France et de l’Angleterre. C’était un vaste plateau non loin des Buttes-à-Neveu, et de ce plateau s’élevait une pente douce qui allait servir d’amphithéâtre à la foule curieuse et impatiente. Dès le midi de ce jour la place avait été envahie.

Sur le plateau on avait dressé un kiosque pour recevoir le gouverneur et sa suite.

Un peu avant deux heures, alors que l’immense pente était bondée de spectateurs difficilement contenus par trois bataillons de la garnison, le cortège vice-royal, précédé de fanfares, fit son apparition.

Murray était monté sur un magnifique cheval bai, richement caparaçonné, et à sa droite caracolait un superbe coursier noir que contenait d’une main sûre le jeune duc de Manchester, cousin du roi et son représentant spécial.

Six grenadiers, hautement panachés, les escortaient immédiatement. Tous les regards s’étaient posés de suite sur le jeune duc, dont la dignité imposait. Thérèse, qui, avec M. DesSerres, se trouvait au premier rang des spectateurs et non loin du kiosque, reconnut avec une émotion intense son protecteur. Et lui la découvrit de suite dans la nombreuse assistance ; il la salua d’une légère inclination de tête et lui sourit longuement. Thérèse pensa s’évanouir de confusion… la première, et parmi tant de jeunes et belles femmes, elle était remarquée du jeune prince. Aussi les dames de l’amphithéâtre et celles de la suite du gouverneur, qui avaient surpris cet échange de courtoisies entre le jeune duc et Thérèse, furent-elles piquées violemment par la jalousie.

Derrière les grenadiers suivaient les officiers de la maison du gouverneur, tous vêtus de riches et brillants uniformes. Puis venaient douze pages à pied portant des fleurs et précédant trois magnifiques carrosses attelés de quatre chevaux blancs chacun. Dans ces carrosses se trouvaient les dames de la suite du gouverneur. Une escouade de huissiers du Château escortaient les carrosses. Après les carrosses venaient à pied douze valets portant des parasols. Puis c’étaient les marins des navires de guerre suivis d’un détachement de Highlanders et d’une fanfare écossaise. Enfin, fermant la marche du cortège, apparaissaient, montés sur des petits chevaux roux, douze chefs sauvages, fortement peinturés et emplumés et armés en guerre.

Un long murmure d’admiration avait circulé dans la masse des spectateurs, lorsque l’imposant cortège défila le long de la pente et vint s’arrêter sur le plateau et devant l’escalier du kiosque. Cet escalier était tapissé d’un riche tapis d’Orient. À droite et à gauche se placèrent le gouverneur et le jeune duc, puis les grenadiers et les officiers firent double haie au milieu de laquelle s’avancèrent les trois carrosses. Les douze pages montèrent les premiers sur le kiosque et formèrent un cercle autour de fauteuils qui y étaient disposés pour recevoir les dames. Puis les valets suivirent et sur deux rangs et se postèrent le long de l’escalier, les valets tenant leurs parasols