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pour continuer son apprentissage de marin, et de jour en jour il devenait un fort et beau garçon dans lequel on devinait toute la vigueur de sa race.

M. DesSerres avait décidé de se livrer enfin au commerce, et, depuis quelques jours, il était en pourparlers pour acheter le fonds de commerce d’un gros négociant anglais de la haute-ville, qui abandonnait le Canada pour aller s’établir dans la Nouvelle-Angleterre.

Entre Thérèse et Léon, qui allait seconder son père dans le commerce, les amours allaient de mieux en mieux, et il avait été entendu que le mariage aurait lieu à l’automne suivant.

Quelques jours après que cette décision importante eut été rendue publique, la jeune Canadienne avait reçu une lettre de provenance inconnue, qu’un courrier spécial avait apportée à la basse-ville et qui était reparti sans donner d’explications. La lettre contenait une belle feuille de parchemin sur laquelle ces mots français avaient été tracés d’une main fine et allongée :


« Recevez mes compliments et mes hommages respectueux, et croyez que je fais pour vous les plus grands vœux de bonheur. »


Pour toute signature il n’y avait qu’un grand « M ».

Mais Thérèse, qui durant le cours de l’hiver avait à diverses reprises aperçu son mystérieux protecteur qui, chaque fois, n’avait pas manqué de la reconnaître et de la saluer courtoisement, se douta bien que ces souhaits de bonheur venaient de lui.

Par un beau jour de février, pendant que Thérèse se promenait par les rues de la haute-ville en compagnie de son fiancé, les citadins avaient vu passer un jeune et beau cavalier monté sur un magnifique cheval noir, très fringant, qu’il conduisait avec une remarquable adresse. Toutes les têtes féminines se retournaient à l’envie pour jeter à ce superbe cavalier des regards d’admiration. Thérèse l’avait aussi admiré, et elle l’avait admiré plus que les autres parce qu’elle l’avait reconnu. C’était Lui !… Et le cavalier l’avait remarquée et saluée fort galamment.

— Ah ! c’est votre inconnu ? avait demandé Léon qui, non moins que l’orpheline, gardait pour cet étranger une reconnaissance sans borne.

— Oui, c’est Lui ! répondit Thérèse. Ne l’avez-vous pas reconnu également, Léon ?

— Je ne l’ai vu qu’une fois, ce soir de novembre dernier où il était apparu avec le général Murray !

— Oui, oui, je me rappelle, Léon.

— Aussi, comme j’étais très désireux de lui exprimer ma reconnaissance, j’ai cherché à savoir qui il était. Mais je n’ai pu arriver à aucune certitude. Seulement, certaines gens m’ont informé qu’il appartenait à une très grande famille anglaise, et qu’il voyageait pour son agrément et pour parfaire en même temps ses études et étendre le champ de ses connaissances. Quelques uns ont pensé qu’il pouvait être apparenté au général Murray, attendu que pendant son séjour en notre ville il se retire au Château Saint-Louis.

Mais à la fin d’avril Thérèse, tout comme Léon et Aramèle, avait cru deviner l’identité véritable de l’étranger, quand, un jour, la Gazette informa le public que le représentant officiel du roi George aux fêtes du 15 mai prochain serait le jeune duc de Manchester, l’un des plus grands personnages, à cette époque, de la cour et du royaume d’Angleterre.

Naturellement ce nom avait ébloui Thérèse et ses amis, et tous, dans l’incertitude où ils demeuraient que leur protecteur fût réellement le jeune duc de Manchester, attendirent avec une grande impatience le jour fixé pour la grande fête.

Cette impatience de nos amis était dans tous les esprits, on ne se préoccupait plus que des fêtes prochaines, on oubliait les affaires importantes, on oubliait la politique, et toutes les conversations bientôt tournaient sans cesse autour des deux héros de la fête : Spinnhead et Aramèle.

Mais un incident allait, dans l’entrefaite, survenir et manquer de faire rayer du programme de la fête la bataille si impatiemment attendue et désirée.


II


En effet, le fameux spadassin qui, sous le roi George II, avait fait les délices de la cour à Hampton-Court, c’est-à-dire Sir James Spinnhead, était arrivé à Québec dans les derniers jours du mois d’avril. Mais il y était venu incognito sous le pseudonyme de Sir James Howe. Il est vrai que le major Whittle avait révélé son incognito à quelques-uns de ses amis : car,