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Celui-ci alors congédia la délégation, promettant de réfléchir et commandant à Whittle en même temps de se présenter le lendemain pour soumettre le plan qu’il avait imaginé.

Et le temps s’écoula, avec le temps le souvenir des drames récents parut s’éteindre dans l’esprit du peuple.

Chez Aramèle la vie avait repris son cours ordinaire. Seulement, depuis sa bataille homérique au King’s Inn, il avait vu le nombre des amateurs d’escrime grandir rapidement, si bien que sa salle d’armes se trouva trop petite. Et, chose étonnante, Aramèle donnait des leçons surtout à de jeunes officiers anglais de la garnison. Il en était même venu de Trois-Rivières et de Montréal. En peu de temps Aramèle était devenu populaire. Son prestige avait fait taire les clameurs de ses ennemis. Était-ce bien uniquement à cause de son prestige ?… Non, il y avait une autre cause.

Whittle avait dévoilé son plan d’un combat singulier entre le capitaine et Spinnhead, et Murray l’avait accepté. Puis Spinnhead avait été embauché sans difficulté, de même qu’Aramèle avait consenti à mesurer sa rapière contre celle de Spinnhead, si le public le voulait.

S’il le voulait… mais le public l’exigeait, il réclamait ce spectacle pour le jour de la fête que le gouverneur avait fixé pour le mois de mai prochain, fête à laquelle, disait-on, le roi George enverrait un représentant spécial. Ce serait donc un jour national, un jour du peuple, et le spectacle ne pouvait être qu’unique. Or, ce tournoi, qui avait été annoncé comme la plus grande « attraction » du jour, prenait dans l’esprit du peuple une importance telle qu’on ne parlait plus que de cette rencontre. La chose avait tellement exalté l’esprit de la jeunesse qu’on avait été de suite dévoré de l’envie d’apprendre cet art remarquable de l’escrime, et bientôt la salle d’armes d’Aramèle ne désemplissait pas. Et le capitaine, tout en acquérant une immense popularité, faisait peu à peu sa fortune, fortune qu’il voulait gagner pour Étienne et Thérèse.

Il n’était donc plus question dans les conversations que de la prochaine rencontre d’Aramèle avec Sir James Spinnhead.

Il va sans dire qu’on souhaitait la victoire pour Spinnhead, puisqu’on savait, sans le dire haut, que cette affaire avait été montée pour désarmer et humilier le capitaine français, sinon pour le tuer. On savourait donc à l’avance une victoire anglaise et une vengeance, et la fête annoncée n’en devenait que plus ardemment attendue.

Et la présence d’un envoyé spécial du roi était loin de diminuer l’importance de l’événement. Cette circonstance aidait à la propagande, et la Gazette de Québec, qu’on venait de fonder, en profitait pour lancer de fois à autre un article en français et en anglais, afin de mieux préparer le peuple aux réjouissances que l’on préparait. Dans ces articles l’auteur se plaisait à décerner à Sir James Spinnhead, le célèbre ferrailleur anglais, des éloges effarants, et il s’étendait complaisamment sur les prouesses de l’escrimeur à travers les continents du vieux monde. D’autres fois, par contre, le même journal faisait un vif portrait d’Aramèle, il vantait son habileté à l’épée et le montrait comme un adversaire redoutable à Spinnhead, mais tout en laissant voir l’infériorité du capitaine : c’était probablement pour le motif de faire aller les paris du côté de l’Anglais. Une chose certaine, cette réclame mettait de plus en plus la curiosité en éveil, et elle allait attirer en la ville une foule considérable de spectateurs pour ce jour-là.

Aramèle, qui ne manquait pas de lire ces dithyrambes, riait sous cape. Il avait deviné le truc de ses ennemis : le désarmer en sourdine. Il avait même envie de rire aux éclats, lorsqu’il lisait de si beaux éloges écrits à l’adresse de Spinnhead. Aramèle avait déjà entendu parler de ce Spinnhead bien avant qu’il ne fût venu en Nouvelle-France. Selon lui, ce Spinnhead n’était qu’un hâbleur de l’épée, un aventurier plus fanfaron qu’habile, un bretteur plus audacieux que « scientifique ». Mais cela n’empêchait pas, comme Aramèle s’en doutait, que tous les paris tombaient sur Spinnhead. Le capitaine s’en réjouissait, d’autant plus qu’il mesurait à l’avance la grandeur de la belle victoire qu’il allait en champ clos conquérir à la France. Cette victoire lui apparaissait comme une superbe revanche de la défaite de 1759 !

— Ah ! pensait-il, si le prix de cette victoire eut été la reconquête de la Nouvelle-France !…

N’importe ! ce serait une fois encore l’honneur de la France défendu !

Avril était venu, un peu froid, mais brillant de soleil. La navigation fluviale avait repris son mouvement. Étienne Lebrand s’était embarqué sur un petit navire