Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ceux-ci, qui étaient ivres, se mirent à rire avec dédain.

— Dieu me damne ! cria Hampton, je cherchais le papa Aramèle et ce sont ses enfants que je trouve devant moi ! Eh bien ! puisque papa est absent, nous donnerons une correction aux marmots !

Et, toujours riant, les trois jeunes Anglais attaquèrent vivement Étienne et Léon qui paraient avec une merveilleuse adresse. Mais tous deux n’étaient pas encore assez habiles à manier la rapière pour lutter avec avantage contre trois adversaires. Thérèse comprit le danger qui menaçait les deux jeunes Canadiens, et, pointant son pistolet sur Hampton, elle pressa rudement la détente. Une détonation éclata comme un coup de tonnerre.

Hampton poussa un cri de rage.

Ses amis firent un prodigieux bond en arrière, comme s’ils avaient cherché à se garer contre un second coup de pistolet, puis ils se mirent à considérer avec une stupeur profonde le lieutenant. Celui-ci, atteint en pleine poitrine, venait d’échapper son épée. Il chancelait et tendait les bras et les mains comme pour chercher un appui. Mais ses regards vacillants se posaient avec haine sur Thérèse qui, immobile comme une statue, froide et d’une attitude terrible, maintenait encore l’arme déchargée et fumante dans la direction du lieutenant. Lui, alors, grommela quelques paroles indistinctes, il battit des paupières, tituba terriblement et, tournant des yeux d’agonisant vers ses amis, cria :

— Tenez-moi ! Tenez-moi !…

À la même seconde il s’abattit sur le parquet.

Ses camarades se tenaient près de la porte comme figés par l’épouvante. Étienne et Léon regardaient tour à tour Thérèse, comme statufiée, et Hampton sur le plancher. Pour Thérèse leurs regards exprimaient la plus grande admiration, pour Hampton c’était de la pitié. Le lieutenant se tordait en d’effroyables convulsions. On l’entendait gémir, pleurer, ricaner et jurer tour à tour. De ses lèvres tombait du sang qui coulait sur le plancher, et il baignait son visage livide dans ce sang. Sa respiration n’était plus faite que de hoquets. Une fois ses regards croisèrent ceux de Thérèse, il fut agité violemment, puis il se souleva sur un coude, et, par un effort inouï, il réussit à se mettre sur les genoux. Ces yeux alors lancèrent des lueurs de haine. Il tendit ses poings vers l’orpheline, comme s’il eût voulu l’atteindre et la frapper, puis, il oscilla… Il parut chercher autour de lui un objet pour s’y agripper et s’y retenir en n’en trouvant pas il grogna et s’affaissa lourdement sur la face en jetant un rire sourd. Cette fois il demeura tout à fait inanimé.

Ses amis s’approchèrent de lui et le soulevèrent à demi ; mais découvrant que ce n’était plus qu’un cadavre, ils le laissèrent retomber avec un geste de consternation et d’effroi.


XIII


Et cet effroi, chez les deux jeunes officiers, parut subitement se changer en terreur panique : ils s’élancèrent hors du logis d’Aramèle en poussant des cris inarticulés, en courant vers la haute-ville. Avant d’atteindre la Porte du Palais ils croisèrent un individu qui, courant lui aussi, les bouscula et les envoya rouler sur la chaussée. Les deux officiers, croyant avoir affaire à quelque butor de basse classe, se relevèrent en proférant mille jurons et, l’épée haute, se jetèrent aveuglement contre l’individu. Mais ils trouvent celui-ci également armé d’une épée, ou plutôt d’une longue rapière qui lança dans la nuit d’effrayants éclairs. En même temps ils purent reconnaître le capitaine Aramèle. Ils firent entendre un cri de suprême terreur, tournèrent les talons et prirent la fuite vers la haute-ville.

Aramèle, qui revenait du King’s Inn et ignorant le drame qui venait de se jouer sous son toit, ne daigna pas poursuivre les deux officiers, tant il avait hâte de savoir si Thérèse était revenue saine et sauve.

Son étonnement fut prodigieux lorsqu’il se trouva devant Thérèse avec son pistolet à la main, et devant Étienne et Léon tous deux armés d’une rapière, et quand il aperçut, couché immobile dans une mare de sang, le lieutenant Hampton.

Il n’eut pas le temps de poser une question que Thérèse jetait son pistolet désarmé et courait se jeter dans ses bras. Le capitaine avait de suite deviné la scène qui s’était passée. Et tandis que, tout heureux, il pressait tendrement Thérèse sur sa poitrine, Étienne lui narrait le court drame et son dénouement.

— Enfin, dit le capitaine en regardant le cadavre de Hampton, celui-là n’a toujours pas volé ce qu’il a attrapé.