Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cours et le dénouement. Elles aidaient les officiers à repousser ces femmes qui tentaient d’arrêter la bataille, et elles les encourageaient en criant à grande voix :

For England’s glory !

Et cette clameur avait son effet : elle produisit comme un choc électrique sur les officiers qui fondirent avec furie sur le capitaine en hurlant à leur tour :

For England’s glory !

Alors, la voix claironnante d’Aramèle tonna ces paroles fières :

— Pour la France !

Et alors aussi, Aramèle fit jouer sa longue rapière, alors il abandonna la parade et la défensive pour attaquer, alors il fondit à son tour sur la masse des officiers… Et ceux-ci, au choc, devant ce tigre rugissant reculèrent, ils s’écartèrent prudemment et hâtivement devant la foudroyante rapière qui sifflait et coupait l’espace comme un éclair.

— Pour la France ! cria Aramèle.

À l’instant un officier tomba baigné dans son sang.

Un immense cri d’épouvante s’éleva dans la salle.

La rapière rugit, fendit l’espace, piqua, frappa mortellement.

— Pour la France ! claironna encore la voix d’Aramèle.

En même temps un officier s’écroulait, percé de part en part.

Le commencement de confusion qui s’était dessiné l’instant d’avant parut se changer en désordre.

Les spectateurs — bourgeois, jeunes hommes, femmes et jeunes filles — se hâtèrent vers les portes par où les domestiques avaient déjà pris la fuite. Et de toutes parts retentissaient des cris, des lamentations, des gémissements, des chocs d’acier, des rugissements de fauves, des plaintes d’agonisants ; et les murs, les parquets de l’hôtellerie tremblaient comme secoués par un séisme soudain. Et au-dessus de cette tempête de cris, de ce vacarme quasi infernal volait la voix de tonnerre d’Aramèle :

— Pour la France !

Des épées s’envolaient dans l’espace, d’autres se brisaient entre les mains qui les brandissaient, et des hommes s’écrasaient sur les dalles où des cadavres déjà gisaient, des mares de sang se dessinaient en rouge sombre çà et là, et dans ces mares les pieds glissaient, dans ce sang des blessés se tordaient en d’inouïes souffrances, juraient et blasphémaient.

— Pour la France ! hurlait toujours Aramèle.

À son tour, le major Whittle tomba, frappé à l’abdomen. Vingt fois il avait essayé d’atteindre le capitaine, vingt fois son épée avait été rudement écartée.

Or, devant la rapière d’Aramèle il ne restait plus que sept ou huit épées.

— Pour la France ! rugit-il encore une fois.

Et il manœuvra si rapidement sa rapière qu’elle sembla vouloir balayer ce qui restait devant elle…

Mais, chose étonnante, et comme si un magicien eût joué de sa baguette, des portes s’ouvrirent brusquement pour se refermer à la seconde même avec des chocs violents, et, tout à coup, Aramèle se vit seul dans la grande salle : ses derniers adversaires avaient suivi dans la fuite les spectateurs épouvantés. Il ne restait que des blessés et des cadavres. Et derrière les portes, verrouillées à la hâte, Aramèle entendait un effrayant bousculement de meubles qui lui fit comprendre qu’on se barricadait.

Il sourit et essuya la lame de sa rapière.

Soudain, juste au-dessus de sa tête une voix se fit entendre.

Aramèle leva les yeux et découvrit dans le plafond un étroit carreau par lequel se posait la face horrible d’une femme : c’était Mrs Loredane.

— Êtes-vous l’antéchrist ou bien le diable ? demanda la tenancière.

Aramèle sourit placidement et répondit :

— Peut-être bien l’un et l’autre, selon que vous le voudrez, madame. Mais une chose certaine et réelle, c’est que je suis le capitaine Aramèle et que je suis venu ici chercher une jeune fille qu’on a amenée de force.

— Ho ! s’écria Mrs Loredane, ne serait-ce pas Miss Theresa que cette jeune fille que vous venez chercher ?

— Thérèse Lebrand, oui, madame. Et puisque vous la connaissez, je compte bien que vous serez assez aimable de m’apprendre ce qu’elle est devenue. Et je dois vous déclarer de suite, chère madame, que si vous cherchez à me tromper j’aurai bien le regret de défaire pièce par pièce votre maudit château, et d’assommer du pommeau de ma digne rapière tout ce qui y reste de vivants !

— Ho ! par pitié, monsieur le capitaine, larmoya Mrs Loredane qui de renom con-