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rien de luxueux, ne put toutefois s’empêcher d’admirer l’ordre dans l’ensemble et le goût dans l’arrangement. Elle respirait autour d’elle une atmosphère de sérénité et de bonheur qu’elle n’était pas loin d’envier. Si dans les intérieurs simples le bonheur est moins apparent, il n’en est que plus réel et profond. Le bonheur n’est pas nécessairement la somme plus ou moins additionnée du faste et de la munificence ; car plus souvent il est berger que prince, plus souvent il est chaumière que palais, plus souvent il est paysan que bourgeois. Le bonheur est le secret de l’esprit, non du corps. Si Mrs Whittle possédait tout ce qu’il faut pour rendre une femme heureuse, elle ne possédait pas réellement le bonheur ; elle vidait fort souvent la coupe enivrante des plaisirs, mais pas assez souvent pour enlever de ses lèvres l’âcreté qu’y déposait sans cesse la coupe des amertumes.

Dans ce logis modeste, mais clair et gai, très français, et guerrier par l’allure et presque bourgeois par le décor, se dégageait un air de confort et de paix qui laissait dans l’esprit du visiteur une impression très douce. Et Mrs Whittle, peu impressionnable d’ordinaire parce que trop superficielle, subit cette impression qu’elle ne manqua pas de communiquer à Thérèse, lorsque celle-ci se présenta, prête à partir.

— Vraiment, vous avez l’air très heureuse ici, mademoiselle, et je vous félicite encore d’avoir accepté la bienveillante protection du capitaine Aramèle. Décidément c’est un gentilhomme pour qui j’ai déjà beaucoup d’admiration.

Il est bien probable que Mrs Whittle était très sincère en prononçant ces paroles.

Quant à Thérèse, elle l’était tout à fait en répondant :

— Oui, madame, je vis bien heureuse. Monsieur le capitaine est pour moi autant qu’un père.

— Bonne enfant ! sourit Mrs Whittle en tapotant les joues roses de la jeune fille. Allons ! ajouta-t-elle, la couturière nous attend, et je sais que vous serez contente de revenir plus tôt chez vous.

Elle conduisit la jeune fille vers la haute-ville.

Après avoir passé une heure chez la couturière, la femme du major emmena Thérèse chez un bijoutier. Elle acheta pour la jeune fille un collier de perles de bonne valeur. Encore une fois, et malgré l’avis d’Aramèle, Thérèse n’osa refuser. Puis Mrs Whittle dit :

— Il n’est que trois heures et je désire vous faire visiter ma maison, venez !

La maison habitée par le major et sa femme avait appartenu à un magistrat français qui, après le traité, avait repassé en France. Elle était située non loin du Palais épiscopal.

Cette propriété était décorée d’un petit jardin à l’avant et d’un petit parc à l’arrière, et elle conservait encore à l’extérieur sa physionomie française.

Mrs Whittle commanda à un serviteur de servir du vin et des biscuits dans un salon luxueux qui avait, lui, perdu son aspect français. Le mobilier et les décorations étaient du plus pur anglais. Les couleurs étaient sombres et les meubles massifs. Tout l’ensemble offrait un air de lourdeur qui présentait un rude contraste avec la légèreté de la maîtresse de maison. Mais il faut expliquer que le major avait fait meubler sa maison avant de se marier, de sorte que Mrs Whittle n’avait pas eu l’avantage d’en surveiller l’installation.

Après un petit goûter la jeune femme promena Thérèse par toute la maison, lui faisant voir tous les coins et recoins. Et elle parlait sans cesse avec une énorme volubilité, elle riait hautement, tandis que Thérèse, gênée, se contentait de regarder avec une sorte d’étonnement tout ce luxe nouveau pour elle, et avec la hâte de sortir de cette maison où elle était loin de se trouver chez elle.

Il est bien vrai que ce n’était chez elle ni si beau ni si riche, mais on s’y sentait plus chez soi et dans une atmosphère moins lourde à respirer. C’était même beaucoup plus gai que dans tout ce luxe qui écrasait.

Lorsque Mrs Whittle eut terminé la visite de sa maison, Thérèse exprima le désir de prendre congé.

La jeune femme, toujours en riant, consentit à laisser partir sa visiteuse, mais non sans lui avoir offert au salon un autre verre de vin et un biscuit.

L’orpheline voulut refuser, le vin de Mrs Whittle ne lui faisait pas. Elle ne dédaignait pas les vins légers que buvait Aramèle, mais ces gros vins rouges dont on avait l’air de se délecter beaucoup dans cette maison pesaient trop sur son estomac et sur sa tête.

À ce moment, le major Whittle parut accompagné du lieutenant Hampton.