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Mrs Whittle sema généreusement de larges et profuses aumônes.

Un peu plus tard, comme on passait devant un magasin à rayons, Mrs Whittle s’arrêta et dit :

— Je pense que j’ai quelques achats à faire ici, entrons !

Mrs Whittle choisit pour elle quelques riches étoffes à robe, et elle choisit également pour Thérèse des étoffes pour confectionner deux robes, en avisant le commerçant qu’elle enverrait dans la journée un serviteur chercher ces choses.

À Thérèse elle dit :

— Ma couturière ira demain chez vous pour prendre vos mesures.

Puis elle acheta encore des rubans, des dentelles, une foule de choses jolies et soyeuses dont elle chargea l’orpheline qui, à la fin, croyait faire un rêve.

Il n’était pas loin de midi lorsque la femme du major quitta Thérèse à la porte de son logis en lui disant avec un bon sourire.

— Un jour, je viendrai vous chercher pour aller à l’essayage chez ma couturière.

Elle embrassa Thérèse sur les deux joues et s’en alla légère et vive.

Cette rencontre n’avait pas plu au capitaine Aramèle. L’histoire de ce vœu prétendu de Mrs Whittle ne lui disait rien qui vaille. Néanmoins, la chose pouvait être vraie, et le capitaine l’eût admise comme telle, mais d’une tout autre personne que Mrs Whittle. Il supposait donc que le vœu de la jeune femme était une pure invention, un trompe-l’œil, et qu’elle avait un but mystérieux en faisant de telles avances à Thérèse qu’elle savait fille adoptive du capitaine. Il y avait donc quelque chose d’équivoque dans la conduite de Mrs Whittle. Méditait-elle un projet de vengeance contre Aramèle ? Était-elle complice de son mari pour tendre un piège à Aramèle en se servant de Thérèse ? Cela était bien possible. Et le capitaine songeait que si on le laissait si bien tranquille depuis un certain temps, ce n’était pas sans raison. On avait peut-être voulu endormir sa défiance pour mieux disposer le piège sous ses pas. Quoiqu’il en fût, Aramèle se promit d’avoir l’œil en éveil. Puis il dit à la jeune fille sur un ton grave :

— Thérèse, je ne vous blâmerai pas d’avoir accepté ces présents de Mrs Whittle : mais si un jour ou l’autre elle persistait à vous offrir des cadeaux, vous devrez la refuser poliment en assurant que vous avez ici tout ce qui peut vous suffire.

— Et si elle vient me chercher pour aller chez sa couturière ? interrogea timidement la jeune fille.

— Vous êtes maintenant engagée et vous ne pouvez revenir sur vos pas ; vous l’accompagnerez donc. Mais il est entendu que la chose ne se renouvellera pas.


VII


Un après-midi, Mrs Whittle frappa à la porte du logis du maître d’armes. Thérèse ne fut pas surprise de cette visite, elle l’attendait. Aramèle était sorti de bonne heure ce jour-là avec Étienne pour ne rentrer que vers le soir.

Mrs Whittle parut très contrariée de ne pouvoir féliciter le capitaine de sa bonne œuvre et de ne pouvoir, en même temps, connaître le frère de Thérèse. Mais elle promit de revenir, assurant qu’elle s’intéressait de plus en plus à la jeune fille, à son frère et au capitaine dont, avouait-elle ingénument, elle avait appris l’habileté au jeu de l’escrime et la bravoure. Puis elle invita Thérèse à l’accompagner chez la couturière qui les attendait pour ce jour-là.

Thérèse dut aller s’habiller dans sa chambre, et elle s’excusa de laisser seule la jeune femme.

Mrs Whittle profita de ce moment de solitude pour examiner curieusement la maison et les choses qu’elle renfermait. C’était toujours cette même salle d’armes dont Aramèle devait faire également sa salle de réception. Seulement, il lui avait donné un peu plus d’éclat en la faisant peinturer à neuf de couleurs claires. Des fauteuils et des divans recouverts de belles tapisseries étaient disposés tout autour, laissant le milieu de la pièce libre pour les exercices à l’escrime. Il avait fait venir de France une collection d’armes qu’il avait savamment arrangées en panoplies aux murs. Sur la tablette de la cheminée avaient été disposés des bibelots, de peu de valeur, il est vrai, mais qui avaient été choisis avec goût. Thérèse avait su joindre à ces bibelots des pots de fleurs artificielles qui réjouissaient la vue et donnaient aux objets voisins un ton plus clair et plus riant. De sorte que la salle d’armes présentait au premier coup d’œil quelque chose de formidable et de séduisant à la fois. Mrs Whittle, qui n’y découvrait, il est vrai,