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d’allégeance, c’est-à-dire reconnaître l’autorité anglaise et ses lois dans le pays. Non, Aramèle ne pouvait pas devenir Capitaine de paroisse.

Il s’était donc remis à l’escrime qui, du reste, le payait mieux que tout poste dans l’administration.

Il avait remis son logis en ordre en y ajoutant un air de confort qui égayait et reposait.

Thérèse s’occupait du soin de la maison, mais le gros travail et la cuisine avaient été confiés à la femme d’un menuisier pauvre du voisinage moyennant six livres par semaine que payait généreusement Aramèle. Étienne était apprenti-batelier : mais dès l’arrêt de la navigation fluviale il se remettait à s’instruire sous la surveillance du capitaine qui, avec ses fonctions de maître d’armes, cumulait celle de précepteur. Thérèse elle-même ne négligeait pas l’étude.

Il y avait donc du bonheur dans ce logis. Thérèse et son frère avaient trouvé dans Aramèle un second père ; et tout en vénérant le souvenir de leurs parents disparus ils aimaient et vénéraient leur second père.

Presque tous les jours Léon DesSerres venaient faire de l’escrime, mais il y venait bien plus pour le plaisir de voir Thérèse et de passer un bon moment avec elle.

Toutefois, au sein de cette tranquillité où vivaient ces personnages si intimement unis demeurait une inquiétude : on s’étonnait que l’administration anglaise ne vînt pas s’immiscer. En reprenant son métier de maître-escrimeur, Aramèle s’était attendu de recevoir de nouvelles sommations, mais rien n’était venu encore le déranger. Après s’être beaucoup étonné, tout le premier, il avait souri d’aise. Mais ce calme ne pouvait-il pas être un présage de malheur ? L’orage n’allait-il pas éclater bientôt encore ? Peut-être ! Mais à mesure que demeurait le calme, Aramèle penchait à croire qu’il était plus fort que l’orage, et il redressait la tête avec défi, sa prunelle grise s’illuminait triomphalement.

Un jour, à Léon et à Thérèse il manifesta ainsi son triomphe :

— Hein ! mes enfants, n’avais-je pas raison de dire que nous ne sommes pas des vaincus ! Ah ! c’est qu’avec la France il faut compter toujours !

Tant qu’il ne sortait pas de son logis le capitaine finissait par croire que le pays était toujours français ! Mais chaque fois qu’il sortait, ses regards aigus rencontraient le drapeau inconnu qui ne cessait de flotter sur la cité, et de suite le beau rêve tombait.

Hélas ! le drapeau de la France n’était pas revenu !

N’importe ! il reviendrait un jour, et cet espoir qu’il avait toujours, Aramèle l’entretenait au cœur de ses deux enfants adoptifs.

Outre les soins du ménage et l’étude, Thérèse allait chaque jour aux provisions. Elle partait le matin avec un petit panier à son bras, elle visitait les boutiques des épiciers, les étalages des maraîchers, les étaux de la basse-ville. Depuis qu’on la savait la fille adoptive du terrible capitaine Aramèle, on la respectait fort, on la saluait même très poliment. Et puis, Thérèse devenait une grande fille, à l’œil hardi et au pied sûr. Gare au malotru qui eût essayé d’une mauvaise plaisanterie ! Mais elle n’avait pas encore perdu toute sa timidité !

L’hiver venait vite.

Les bateliers, pêcheurs, mariniers avaient mis leurs navires en hivernage dans le bassin de la Rivière Saint-Charles. Étienne était rentré au domicile de la Ruelle-des-Cailloux pour tout l’hiver, et de suite il s’était remis à l’étude.

Un matin, frisquet et neigeux, comme Thérèse allait aux provisions elle fut accostée par une élégante jeune femme de la haute-ville, qui s’était écriée comme avec une joie inouïe :

— Ho !… n’est-ce pas mademoiselle Lebrand que je vois ?

Cette jeune femme inconnue à Thérèse parut très aimable, et la jeune fille répondit en rougissant un peu :

— Oui, madame, je m’appelle Thérèse Lebrand.

— Vous êtes orpheline, n’est-ce pas, mon enfant ?

— Oui, madame, répondit encore Thérèse.

Elle ajouta, non sans une certaine attitude de fierté :

— Mais j’ai trouvé un second père…

— Ah ! le brave capitaine Aramèle, si je ne me trompe, sourit largement la jolie dame.

— Vous connaissez le capitaine, madame ?

— Si je le connais… Mais qui ne le connaîtrait pas, mon enfant ! Il est si fier et noble !…

Thérèse éprouva une joie très vive d’entendre ainsi parler de l’homme qui l’avait