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du fameux spadassin, Sir James Spinnhead ?

— Cet aventurier qui eut un si grand nombre de duels retentissants ?

— Et qui, sous le dernier roi, fut un favori de Hampton-Court.

— Parfaitement.

— Le roi George II l’avait fait baronnet. Il a couru toutes les capitales de l’univers, il a croisé le fer avec les plus célèbres duellistes des cinq continents, et jamais encore, assure-t-on, il n’a été boutonné.

— On a dit en effet que c’était une merveille de l’escrime. Mais n’a-t-il pas vieilli ?

— Il dépasse à peine la cinquantaine, et on le dit aussi fort qu’à ses trente ans.

— Habite-t-il toujours l’Angleterre ?

— Non. Ayant, pour je ne sais plus quel motif — peut-être une aventure galante — perdu la faveur de la cour, il s’est réfugié à Boston où il fait encore des armes.

— Encore ?

— Que voulez-vous, une si vieille habitude ! C’est passé dans sa nature !

— Il est donc encore redoutable ?

— Je le crois.

— Mais quelle est votre idée ? Que voulez-vous faire de ce Spinnhead ?

— Le faire mesurer avec Aramèle et faire désarmer le maudit Français, le faire tuer, si possible !

— Ou faire tuer ce magnifique Spinnhead ? se mit à rire Hampton.

— Je parierais une fortune en faveur de Spinnhead.

— Mais comment vous y prendrez-vous pour amener Aramèle aux prises avec Spinnhead ?

— Rien de plus simple. Le gouverneur veut commémorer au mois de mai de l’année prochaine, la victoire définitive de nos armes contre les Français en 1760. Il va ordonner de grandes fêtes, et au programme de ces fêtes il nous sera possible d’inscrire un combat singulier entre Spinnhead et le capitaine Aramèle.

— C’est superbe ! s’écria Hampton, ravi. Et vous croyez bien que Spinnhead aura la victoire ?

— Je n’ai aucun doute sur l’issue du combat. Seulement, le Français acceptera-t-il de se mesurer avec notre champion ? Voilà où je suis moins certain !

— On l’y pourrait peut-être forcer…

— Oui, peut-être, en s’entendant avec Spinnhead.

— Connaissez-vous bien ce Spinnhead ?

— Comment donc !… c’est un ami.

— Ah ! diable ! rien de plus simple, en effet. Avez-vous parlé à Murray de votre projet ?

— Pas encore. Je suis sûr qu’il n’opposera aucune objection.

— Savez-vous s’il a appris qu’Aramèle avait adopté les deux enfants du batelier Lebrand ?

— Que me dites-vous, Hampton ? s’écria avec surprise Whittle.

— Vous ne saviez pas vous non plus ?

— Mais… c’est la première nouvelle !

— Renversante, n’est-ce pas ? Eh bien ! oui, le capitaine Aramèle s’est fait le protecteur de ces deux orphelins canadiens

— De quoi les fera-t-il vivre ?

— De son épée !

— Ah bah ! voulez-vous rire ?

— Pas du tout. Maître Aramèle est redevenu maître d’armes.

— Sans l’autorisation de Murray ?

— Vous savez bien que ce damné Français se croit maître absolu de ses actes… il faut pourtant bien le briser !

— Je verrai Murray, gronda Whittle avec haine, et nous saurons bien forcer enfin ce maître-bretteur à déposer ses armes !

— N’ayez garde ! prévint Hampton. Pensez à votre projet ! Ne vaut-il pas mieux laisser le Français en pleine tranquillité pour ne pas l’indisposer d’abord, et ensuite obtenir plus facilement qu’il mesure la longueur de son épée à celle de Spinnhead.

— Parfait, Hampton. Je vais communiquer avec Spinnhead pour savoir si nous pouvons compter sur lui, et s’il accepte notre proposition, j’en causerai avec le gouverneur. Mais ce dont je ne peux revenir, c’est d’apprendre que le capitaine Aramèle, lui un célibataire, ait adopté ces deux enfants canadiens. C’est extraordinaire, et il faudra que je conte l’histoire à Mrs Whittle qui en sera fort étonnée…

Le même jour, en effet, le major instruisait sa femme de la philanthropie d’Aramèle.

Mrs Whittle éclata d’un rire… mais d’un rire à la faire tomber en pâmoison.

Mrs Whittle passait dans le monde pour une femme légère de mœurs. De vingt années plus jeune que le major, qui atteignait quarante-trois ans, Mrs Whittle, jolie, gaie et quelque peu turbulente, se laissait volontiers courtiser par les jeunes gens. Dans les bals, les réunions mondaines quelconques, elle était toujours très entourée,