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— Que j’ai décidé de me charger de ces deux enfants !

— Vous, Aramèle ?… Vous êtes fou, je pense !

— Et moi, je pense que j’ai toute ma raison !

— Mais avec quoi ferez-vous vivre ces enfants ?

— Pardieu ! avec le fruit de mon travail.

— Où les logerez-vous ?

— Dans ma petite maison. Il y a, depuis qu’Hortense m’a quitté, un coin dans la cuisine dont je ferai une petite chambre pour Thérèse. Étienne aura ma chambre, et moi je m’arrangerai très bien au grenier.

M. DesSerres ne paraissait pas prendre au sérieux le capitaine. Lui, demanda aux deux orphelins :

— Dites, mes enfants, si cet arrangement n’est pas un peu de votre goût ?

Étienne et Thérèse se décidèrent de suite pour la proposition d’Aramèle, tout en demeurant très reconnaissants à M. DesSerres. Ils avaient pensé qu’ils seraient mieux chez eux avec Aramèle, si peu habitués qu’ils étaient de la richesse dont ils auraient été entourés chez l’ancien fonctionnaire. Et puis, ils étaient plus familiers avec le capitaine, tandis que M. DesSerres et sa femme étaient presque des étrangers.

M. DesSerres avait été désappointé, mais Léon l’avait été bien autrement. Pourtant, ils ne firent rien voir pour ne pas blesser la nature généreuse du capitaine qu’ils admiraient.

Étienne, en acceptant la protection d’Aramèle, lui avait déclaré :

— Je ne veux pas vous être à charge, et je pense que je pourrai travailler et gagner suffisamment pour ma sœur et pour moi.

Certes, Aramèle ne pouvait pas contrecarrer cette jeune fierté et cette petite vaillance, et il se doutait bien qu’Étienne serait bientôt un homme. Aussi lui avait-il demandé :

— À quelle besogne songes-tu à t’occuper ?

— Je veux devenir, comme mon père, batelier.

Rien n’était plus raisonnable.

Donc, ceci convenu, on ne s’occupa plus que des funérailles du batelier et de sa femme.

Ce malheur avait couru toute la cité en peu de temps, et durant toute la nuit Anglais et Canadiens défilèrent respectueusement devant les deux cercueils. Lorsque la mort a passé, elle a tout nivelé : il n’est sous son sceptre de rivalités, de rang, de race ou de fortune, et sous sa loi seule règne l’égalité de tous les hommes.

Deux jours plus tard, un artisan avait acheté la petite maison du batelier, et les deux orphelins, avec leur petit avoir, s’en allèrent habiter sous le toit du capitaine Aramèle.


V


À quelques jours de là, le major Whittle et le lieutenant Hampton étaient réunis dans une chambre du poste militaire de la porte Saint-Louis. Murray avait donné le commandement de ce poste à Hampton.

Les deux officiers n’avaient pas démordu de leur haine contre Aramèle, et le retour à Québec du capitaine avait décuplé cette haine. Lorsqu’ils avaient appris qu’Aramèle avait de ses propres mains hissé sur le toit de sa maison le drapeau de la France, leur rage n’avait plus connu de bornes ; mais ils avaient tout de même ravalé leur fiel en constatant que Murray éprouvait quelque sympathie pour ce Français insoumis. Ils avaient décidé de laver l’outrage fait par le capitaine à la race anglaise en arborant le drapeau de la France, mais tous les moyens n’étaient pas bons. Avant tout ils ne pouvaient s’aliéner la bienveillance du gouverneur de qui ils tenaient leurs fonctions. Il y avait bien mille moyens de faire assassiner le capitaine, mais il y avait la trahison à craindre. Et puis, un meurtre est toujours dangereux. Mais si, par exemple, on pouvait réussir à faire disparaître Aramèle par un accident fortuit, mais qui aurait été préparé de longue main ! Les deux complices s’étaient souvent consultés, mais ils n’avaient pu trouver une solution satisfaisante. Hampton eût été satisfait de simplement désarmer le capitaine, il ne tenait nullement à lui enlever la vie :

— Qu’on lui ôte sa maudite rapière, avait-il dit un jour, et je serai content.

Or Whittle avait fini par trouver une combinaison, et, ce jour-là, il était venu parler de sa trouvaille au lieutenant.

— Hampton, s’était-il écrié en pénétrant dans la chambre du lieutenant, j’ai trouvé le moyen de désarmer ce damné Aramèle !

— Voyons !

— Vous avez entendu parler, nul doute,