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agréable. Tout était rustique et humble, mais tout était beau et reposant. En France, Aramèle s’était un jour assis sur la véranda d’une auberge située, comme celle-ci, sur la place d’un petit village, d’un humble hameau, et non loin duquel coulait une rivière.

Et Aramèle rêva qu’il revoyait la France…

La jeune fille était entrée à l’intérieur de l’hôtellerie pour aller chercher à boire et à manger. Le capitaine s’était assis à une petite table, admirait de son regard rêveur le paysage si français de ces lieux.

L’arrivée d’Aramèle avait fait naître une grande curiosité parmi les habitants du hameau.

Des groupes d’enfants, très curieux, s’approchèrent timidement de l’auberge pour mieux voir cet étranger qui portait une rapière à son côté. C’était surtout la longue rapière qu’examinaient les petits d’un œil admiratif et d’envie. Et l’homme ne manquait pas d’attraits : il avait fort bonne mine dans sa capote militaire, et les enfants aiment regarder les soldats. Aramèle leur sourit largement. Ce sourire parut les intimider… ils retraitèrent aussitôt vers des groupes de femmes qui semblaient commenter, à voix basse, l’apparition de l’étranger. Quelques-unes, avec leurs mains en visière, regardaient attentivement dans la direction de l’auberge. Un peu plus tard Aramèle entendit ces paroles échangées entre deux voisines :

— Qu’est-ce que vous pensez de cet inconnu ?

— J’sais pas… mais ça se pourrait ben que ce serait un militaire… p’être ben un général !

— Il a bonne mine !

— Voyez son épée !…

— Mais si c’était un Anglais…

— Hein !… un anglais !… firent des voix d’enfants… mais il faudrait le chasser !…

Aramèle éclata de rire au moment où la jeune fille de l’auberge apportait un pot de vin et une omelette bien fumante.

— Holà ! mes enfants, cria joyeusement Aramèle, venez encore, je ne suis pas un Anglais ! Non, non… vous le voyez bien que je suis français !

Des gamins à figure barbouillée, des gamines aux joues roses et à longs cheveux bouclés se rapprochèrent, moins timidement cette fois.

— Avez-vous des sucreries, mademoiselle ? demanda Aramèle.

— Des petits cornets de sucre d’érable, monsieur ?

— Mais oui, ce sera exquis.

À la marmaille la jeune fille jeta :

— Venez, petits ! Monsieur va vous acheter des cornets de sucre !

Ce fut aussitôt une ruée… et il y en avait une vingtaine de ces marmots bien français !

Aramèle les considérait avec plaisir.

La jeune fille distribua à la bande des petits cornets d’écorce de bouleau remplis d’un sucre blond, des explosions de joie indicible éclatèrent et les petits dents blanches et très aiguës s’attaquèrent vivement au contenu des cornets.

Et des petites voix bien françaises, elles aussi, crièrent, joyeuses et ravies :

— Merci, monsieur…

— Qu’ils en mettent dans leurs poches, commanda Aramèle, je paye !

La jeune fille alla chercher un plein plateau de ces cornets de sucre. Les enfants, tout étourdis de tant de largesse et de munificence de la part de cet étranger, bourrèrent rapidement leurs poches et leur ventre.

— Petits, dit Aramèle, vous direz à vos mamans et à vos papas que c’est le capitaine Aramèle qui vous a acheté ces sucres !

— Le capitaine Aramèle…

Ce fut un long murmure de surprise et d’admiration…

…Le capitaine Aramèle !

Les enfants partirent à belle course vers leurs mères. La surprise ne fut pas moins grande parmi les villageoises, et cette surprise se manifesta par un choc rapide de paroles et de gestes :

— Hein ! le capitaine Aramèle ?…

— Ah ! ben, par exemple… Celui de Québec ?…

— Qui… qui fait de l’escrime… Voyez, il a encore son épée !

— C’est une rapière !

— Qu’importe !…

— C’est un fier et bel homme tout de même !

— Le plus brave à ce qu’on dit !

— Même qu’il n’a pas voulu se soumettre aux Anglais !

— Sainte-Vierge ! il a bien fait !

— Ce n’est pas lui qui se rendra le premier !

— Et il n’est pas vieux…