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abondant en gibier de toutes espèces : c’était comme une petite forêt où croissaient côte à côte le sapin, le frêne, le bouleau, le cèdre et le tremble, où venaient se nourrir l’orignal et le cerf, où vivaient le chevreuil, où se terrait le renard, où la perdrix perchait… Sous ces bois sombres où pénétrait avec peine un rayon de soleil, où sa chaleur ne descendait pas, Aramèle s’arrêta pour essuyer les sueurs à son front.

Il s’assit sur un arbre renversé, enleva son feutre et jeta vers la cime des arbres et vers un tout petit coin de ciel bleu un long regard d’extase. Il se souvenait qu’en France il avait traversé des bois semblables, aussi touffus, aussi sombres, aussi frais ; et il se rappelait qu’il avait entrevu au travers des cimes remuantes une tache de ciel bleu, du bleu tout pareil à celui qu’il contemplait ! Oui, voilà bien qu’Aramèle, depuis qu’il avait quitté la cité, revoyait de toutes parts l’image de la France. Il en oubliait ce qu’il était, d’où il venait, où il allait ! Il se laissait aller à ce rêve heureux qu’il retrouvait la France, qu’il la parcourait !

Un paysan passa, conduisant une paire de bœufs attelés à une charrette. Les bœufs étaient roux et légèrement tachetés de blanc. Ils marchaient d’un pas lent, ils secouaient le joug, humaient largement l’air frais de ces bois, agitaient leurs oreilles, et de la queue chassaient les premières mouches de la saison.

Le paysan marchait à côté, sur le bord du chemin, et sa main aiguillonnait d’une hart les deux bêtes qu’il commandait d’une voix tranquille. De temps à autre il fredonnait un joyeux couplet de chanson française. Il se tut en apercevant Aramèle. Puis, laissant aller ses bœufs, il s’arrêta et demanda avec bienveillance :

— Allez-vous à la ville, monsieur ?… Je vous donnerai une place dans ma charrette.

— Merci, mon ami, répondit Aramèle. Je quitte la ville…

Devant lui le capitaine découvrait ce paysan français tel qu’il l’avait connu là-bas.

— Et où allez-vous, monsieur ? interrogea encore le paysan.

— En France, mon ami, sourit le capitaine.

Le paysan parut regarder un moment cet homme avec surprise. Puis il hocha la tête et s’éloigna d’un pas rapide pour rejoindre sa charrette et ses bœufs.

Aramèle regarda l’attelage aller jusqu’au moment où il disparut dans la pente du coteau. Longtemps il écouta les cahotements du véhicule et les gais refrains du paysan. Lorsqu’il n’entendit plus qu’un vague écho, il soupira et il lui sembla que son cœur faisait mal : car il lui avait semblé tout à coup qu’avec ce paysan la France s’éloignait de lui.

Puis, passant la main sur son front séché, il murmura doucement :

— Il est de France lui aussi… pourquoi n’en prend-il pas le chemin comme moi ?…

Peu après il se leva et poursuivit sa route, vers l’est encore… vers la France.

Il s’arrêta bientôt à l’orée de ce bois. Là, le coteau descendait en pente très douce vers une grande vallée de taillis toute semée, coupée çà et là de langues de terre noire, sillonnée de haies, tachetée de prés verts où des bestiaux tondaient à belles dents des herbages hâtifs et drus. Parfois sur un tertre apparaissait un toit de chaumière d’où s’élançait un petit panache de fumée blanche. Vers le centre de la vallée serpentait et bourdonnait joyeusement une petite rivière que masquaient de jeunes saules faisant leur feuillée, et ces ondes joyeuses, car Aramèle les entendait, couraient, glissaient vers le grand fleuve. Ce fleuve, Aramèle l’apercevait à droite, par-dessus des bosquets son regard volait et se posait sur les voiles blanches de petits navires qui balançaient doucement dans la brise légère. Et au-dessus de ces voiles blanches, dans l’air bleu et tout plein de lumière d’or, des mouettes tourbillonnaient.

Aramèle retombait dans l’extase devant toutes ces choses admirables qui frappaient ses yeux.

Puis, voulant poursuivre son chemin, il vit la route en bas du coteau tourner légèrement vers le fleuve… ce fleuve qui l’attirait. Et cette route maintenant semblait conduire ses pas vers un village dont il avait cru entrevoir les toits rouges, gris ou jaunes au travers de jeunes feuillages. Et là encore il lui sembla qu’il avait jadis vu un coin de terre tout semblable en France, un tableau tout aussi magique de couleurs que celui qui ravissait ses yeux.

Il descendit le coteau, s’engagea dans la vallée, et s’arrêta un moment sur le petit pont jeté sur la rivière pour écouter chanter les eaux qui glissaient dessous. Il frémit encore… c’était si pareil à là-bas !…

Il franchit le pont et par le chemin si-