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— Et vous paraissez oublier que vous êtes en pays anglais ?

— Et vous, monsieur, répliqua avec une belle énergie le capitaine, vous paraissez oublier que vous êtes ici en terre française… sortez !

Cette fois les deux officiers obéirent, mais non sans avoir jeté au Capitaine un regard mortel.

Aramèle haussa les épaules, referma tranquillement la porte et alla se rasseoir à sa table. Avant de poursuivre sa classe, il dit à ses élèves très impressionnés encore par la scène qui venait de se passer sous leurs yeux :

— Mes enfants, vous venez d’être témoins de la tyrannie de ces étrangers, et je vous ai montré de quelle façon il faut les combattre. Je vous répéterai ce que maintes fois je vous ai enseigné : Ne craignez pas de leur faire entendre, aussi souvent que vous en aurez l’opportunité, que vous êtes en terre française ! Car croyez bien que la France reviendra… elle reviendra parce que Dieu l’aura voulu !…

Et Aramèle, ayant poussé un long soupir d’espoir, continua la classe.


IV


À onze heures, au moment où les élèves allaient prendre leur récréation et se livrer pour une heure aux exercices physiques on frappa de nouveau à la porte.

— Ah ! ah ! fit Aramèle en souriant, je parie que ce sont mes rustauds d’Anglais qui reviennent à la charge… nous allons voir !

Il alla ouvrir.

C’était bien le lieutenant Hampton, toujours accompagné du même subalterne.

— Daignez entrer, messieurs, sourit aimablement Aramèle tout comme s’il les eût reçus pour la première fois.

Pâle et hautain, Hampton remit à Aramèle le même pli en prononçant ces paroles :

— Lisez ce qui se trouve sous la signature du major Whittle !

Avec une lente gravité, le capitaine retira le pli de son enveloppe, le déploya et lut sous la signature de Whittle ces mots écrits d’une main volontaire :

« Selon mes ordres personnels. Murray. »

Durant quelques minutes Aramèle demeura très pensif. Puis avec un sourire triste et paternel il dit à ses élèves :

— Mes amis, il n’y aura point d’exercices physiques cette matinée… retournez dans vos foyers !

Sans marquer trop d’étonnement, les enfants obéirent. L’instant d’après la salle était déserte, il n’y restait que le lieutenant Hampton et son subalterne. Le capitaine reprit sur un ton froidement poli :

— Quant à vous, messieurs, je pense bien que votre présence en ma maison est maintenant inopportune.

Il indiquait la porte.

Hampton essaya de grandir sa taille et de prendre un air autoritaire avant de répondre ceci :

— Ma mission n’est pas finie : j’ai ordre de vous enjoindre verbalement de sortir de la ville dans les quarante-huit heures qui suivront cet avis.

— Ah ! vraiment, mon bel ami ? se mit à rire narquoisement le capitaine.

— C’est si vrai, répliqua Hampton, que si, au bout de ces quarante-huit heures, vous êtes encore en les murs de cette cité, instructions ont été données de vous arrêter et de vous jeter dans un cachot.

— C’est magnifique ! ricana Aramèle. Et cet ordre vient de Son Excellence le Gouverneur Murray ?

— Sans doute. Mais ce n’est pas tout.

— Ah bah ! fit Aramèle sur un ton badin.

— Il vous est défendu de remettre les pieds dans la ville, à moins d’une déclaration de votre part par laquelle vous vous engagerez à vous soumettre à la loi anglaise.

— Et c’est formel ?

— C’est absolu. Au demeurant, vous ne seriez pas forcé de partir et vous ne le serez pas du moment que vous me remettrez cette déclaration par écrit : c’est-à-dire que vous vous soumettez à l’autorité qui gouverne ce pays conquis par nos armes.

— Au fait, repartit Aramèle, je peux bien concéder que vous avez conquis le pays, et vous vous y prenez de toutes les formes et façons pour nous en bien convaincre ; mais vous n’avez pas, que je sache, conquis la population ?  ?

— Quelle différence ? interrogea ironiquement Hampton.

— Quelle différence ? s’écria Aramèle, mais le jour et la nuit ! Vous êtes maîtres du pays, c’est-à-dire de tout ce qui ne tombe pas dans la catégorie des êtres humains :