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généreux et, peut-être, le meilleur de la race, Noël Lebrand — mais non sans hésitations — s’était soumis aux lois nouvelles, à la domination étrangère, parce qu’il n’avait pas voulu encourir l’excommunication de l’évêque. Catholique, il croyait que son premier devoir était d’obéir à la voix des représentants de Dieu ; et ce devoir envers Dieu était également, comme on le lui avait expliqué, un devoir envers son pays malheureux.

Il faut admettre, en effet, que la soumission était, à cette époque, le premier devoir qui incombait à nos pères ; en refusant de reconnaître l’autorité anglaise, il était à redouter qu’ils ne fussent exposés à subir quelque terrible déportation. Ils savaient déjà trop ce qu’avaient souffert les Acadiens en 1755 !… Ne disposant pas de la force armée pour reconquérir leur pays, les Canadiens eurent la sagesse de se résigner, et cette résignation était peut-être déjà un commencement de reconquête !…

Ils étaient pauvres, ces Canadiens, plus pauvres encore après les ruines accumulées par les hordes barbares. Ils ne possédaient pas encore cette puissance qu’est l’argent, puissance qui, déjà, rendait l’Angleterre presque souveraine dans le monde entier. Et ils manquaient de chefs militaires et de ces hommes instruits capables de manier la parole, la plume et la finance, de ces hommes qui, plus tard, pourraient ouvrir à la race une large voie vers la souveraineté. Tous les Canadiens de 1760 avaient donc compris la nécessité de se soumettre, hormis quelques têtes plus chaudes, quelques tempéraments plus impétueux et plus rancuniers qui n’admettaient pas de loi inexorable tant qu’un souffle de vie les animait. Parmi ceux-là, le Capitaine Aramèle. Néanmoins, entre le capitaine Aramèle et quelques Canadiens récalcitrants qui avaient même la voix du clergé, il y avait une nuance, ou plus justement une différence. Ces Canadiens récalcitrants étaient demeurés inflexibles à cause d’un esprit trop fermé, l’ignorance écartait de leur cerveau les suggestions du plus simple bon sens, et ils ne pouvaient pas comprendre ; mais Aramèle, lui, comprenait très clairement, mais la fierté du sang, l’orgueil de la race le faisaient se rebeller à la moindre idée de soumission aux vainqueurs. Par surcroît, il y avait en ce français cette haine séculaire qui le séparait et l’éloignait de l’Anglais, et chez lui la répulsion était plus forte que la compréhension. Et pourtant Aramèle se serait soumis, mais à la condition que son acte de soumission ne fût pas celui d’un vaincu. Il était disposé à reconnaître aux Anglais un droit de maître sur le pays, mais un droit acquis plutôt par convention que par la force des armes. Lorsque le roi Louis XV avait abandonné à l’Angleterre le Canada, alors qu’il aurait pu par une juste diplomatie le conserver, Aramèle, le premier, s’était écrié :

— Soit ! l’on peut vendre son pays, je suppose, comme l’on peut vendre son épée, parce qu’il est arrivé qu’on a perdu tout sentiment d’honneur ; mais nous, ici, nous ne sommes ni vendus ni vaincus !

Et c’était si vrai que, après 1759, on aurait pu reprendre Québec aux Anglais et les chasser de la colonie. Le Chevalier de Lévis et ses lieutenants eussent accompli cette tâche sans les traîtres, les renégats et les indifférents qui semaient le découragement et la division dans les débris de l’armée française et coloniale. Et quels débris encore !… des débris qui eussent accompli des prodiges !

Aramèle était un exemple ou mieux une image de cette âme chevaleresque qui animait l’armée du roi de France après ses revers : elle avait été malheureuse, mais non vaincue !

Mais le Capitaine Aramèle, en refusant de reconnaître un droit de maître aux Anglais, n’était pas un danger pour la race française du pays, car son insoumission ne demeurait qu’une sorte de protestation contre l’acte du roi de France. Il ne demandait que de vivre avec ce rêve que la France était encore reine et maîtresse en ce pays pour la défense duquel il avait versé de son sang. Il était même si inoffensif que Murray allait le protéger contre les attaques féroces et les attentats meurtriers d’ennemis implacables.

Ainsi, on imagine bien les sentiments de patriotisme que développait et entretenait Aramèle dans les jeunes intelligences de ses élèves préférés, Étienne et Thérèse Lebrand.

La mère de Thérèse était une de ces femmes françaises comme il y en a tant, comme il n’y en aura jamais assez peut-être : tout pour la famille, pour Dieu, pour le pays ! Cette trinité était tout son devoir. Avec joie elle accumulait pour elle-même tous les sacrifices et toutes les abnégations pour arriver à établir l’unique bonheur de ses enfants. C’était une femme vaillante