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LA VIERGE D’IVOIRE

Et tendrement, bien doucement, elle aida le malade à prendre une position confortable pour le reste de la nuit.

Et là, sous les regards de tous, sous des regards extasiés, celui qui avait souffert sept années, celui qui n’avait passé un quart d’heure sans murmurer ou gémir une plainte, celui qui n’avait fermé l’œil que pour quelques minutes par ci par là, oui, Adolphe, le fils d’Amable Beaudoin, dormait tout à coup d’un sommeil profond, d’un sommeil heureux !

Sur les lèvres le sourire continuait de se jouer comme on voit un rayon de soleil remuer gaiement dans un coin d’ombre. Ce visage cadavérique s’éclairait, se colorait, il devenait de minute en minute un visage d’enfant heureux.

— Regardez… regardez donc ! clamait Eugénie à mi-voix !

— Et sa respiration… dit le restaurateur de plus en plus stupéfait. Écoutez, il ne râle plus comme avant !

— Mais oui… mais oui !

Cela tenait du prodige !

Oh ! si c’était la Vierge d’Ivoire ! murmura la mère en élevant son âme vers la Mère de Dieu !

Sur tous ces visages la stupéfaction se changeait en une joie inénarrable.

Ils demeuraient là, penchés, émus, silencieux, regardant dormir le pauvre enfant !

Et dans l’âme de chacun de ces personnages unis par le même lien du sang et par la même foi grandiose, cette pensée jaillissait :

— Oui… si c’était la Vierge d’Ivoire !


IV

RÉSURRECTION


Les mercredis et les samedis, le docteur Rouleau, de la rue Saint-Denis, un des meilleurs médecins du temps, venait faire sa visite au malade de la rue Notre-Dame.

Le lendemain de ce jour, dans la matinée, avant de se rendre à ses fonctions quotidiennes de l’Hôpital Notre-Dame, dont il était l’un des médecins les plus réputés, le docteur monta chez le paralytique.

Ce matin-là, le jeune homme s’était réveillé très reposé. C’était l’unique nuit qu’il avait passée depuis très longtemps. Il sentait dans tous ses membres une vigueur inconnue. Son teint n’avait plus sa couleur de cendre, ses yeux avaient perdu leur fixité d’agonisant, et le jeune homme, très souriant, parlait à qui voulait l’écouter avec une facilité et une volubilité inconcevables.

Le médecin n’en put croire ni ses yeux ni ses oreilles.

— Ah diable ! s’était-il écrié en entrant. Est-ce que mes derniers médicaments auraient accompli un tel miracle ?

Bien qu’il eût confiance aux remèdes qu’il avait prescrits, il ne pouvait en attendre de si rapides résultats. Il n’y avait que deux jours encore que le malade avait commencé de prendre les nouveaux médicaments.

Il examina le jeune homme et constata qu’il avait pris un mieux qui ressemblait à une guérison à brève échéance.

Il s’en étonna encore.

— Madame Beaudoin, s’écria-t-il, à moins de me tromper énormément, ce gaillard, du train qu’il va, sera debout avant dix jours !

— Oh ! monsieur le docteur, on ne peut pas croire ça ! dit la brave femme avec ravissement.

— J’ose à peine y croire moi-même, madame. Mais je suis bien forcé de m’avouer et d’avouer à qui que ce soit que ce garçon-là a gagné au moins vingt points sur cent depuis ma première visite.

— C’est depuis hier soir seulement qu’il a pris du mieux, monsieur le docteur ; ça s’est fait tout d’un coup… comme un vrai miracle !

— Oui, oui, murmura le docteur, c’est un miracle ! Eh bien ! ne désespérez plus, nous pourrons en faire un homme de ce garçon.

Et le docteur Rouleau s’en alla.