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LA TAVERNE DU DIABLE

Dans l’intérieur même de la taverne, nul bruit.

Cécile se mit à appeler plus fort, puis de toute la puissance de sa voix elle cria :

— Lambert ! Lambert !

Elle se tut, frémissante. Sous ses pieds un coup de feu venait d’éclater.

Elle écouta, presque haletante.

Or, comme nous le savons, Lambert, avait entendu l’appel de la jeune fille, au moment même où il venait de percer d’une balle l’œil gauche du major américain. Mais aussi l’appel de Cécile avait été entendu d’une autre personne, et cette personnes c’était le major Rowley.

Rowley, Lymburner et Aikins s’étaient réfugiés dans une chambre du dernier étage pour y attendre le résultat de la bataille. Ils faisaient naturellement des souhaits pour le succès des armes américaines, car ils savaient à quels châtiments ils étaient voués, si les Américains rataient leur entreprise, et s’ils tombaient au pouvoir de Carleton. Or, pendant qu’ils épiaient, pour ainsi dire, le combat qui se livrait dans la ville entre les forces ennemies, Rowley entendit une voix de femme qui lui parut lancer des appels de détresse. Cette voix venait de l’étage inférieur. Curieux, il sortit de la chambre où il s’était renfermé avec ses deux complices, marcha vers l’escalier et prêta l’oreille. Cette fois il reconnut la voix de Cécile appelant Lambert. Il sourit avec une joie infernale et descendit l’escalier pour se trouver bientôt devant la porte de la chambre où était enfermée Cécile. Naturellement, très intrigué, Rowley se demanda comment la jeune fille se trouvait enfermée là. Il remarqua de suite que la porte était verrouillée par dehors. Mais avant de tirer le verrou il écouta encore, se demandant si Cécile était seule ou avec une autre personne.

Cécile, surprise par le coup de feu entendu, demeura un moment immobile et muette, puis encore elle appela :

— Lambert ! Lambert !…

La minute d’après elle entendit qu’une main tirait le verrou de sa porte. Une joie insensée fit tourbillonner son esprit, et elle s’élança vers la porte en criant :

— Lambert !

La porte s’ouvrit à l’instant même… mais ce n’était pas Lambert qui apparaissait là, debout sur le seuil ; c’était Rowley qui grimaçait un sourire cupide et atroce !

À cette apparition, Cécile jeta un cri de désespoir, elle recula, glissa sa main droite sous sa mante, tira un pistolet dont elle s’était munie, le braqua rapidement sur le major et fit feu !

Rowley tomba la gorge percée de part en part, avant même qu’il n’eût prononcé une parole, fait un geste. Il s’écrasa lourdement sur le seuil de la porte, gronda une sourde imprécation de rage, vomit un flot de sang et demeura inanimé.

Cécile ne perdit pas de temps : elle enjamba le cadavre, se jeta dans le corridor et gagna l’escalier pour descendre. Sur le palier elle s’arrêta net avec un geste de stupeur et d’effroi. Dans cet escalier montait une fumée noire et âcre percée de temps à autre de fugitives lueurs rouges. En bas elle entendait un sinistre crépitement, et elle comprit que la taverne était en feu.

Devant le danger terrible qui la menaçait encore, Cécile frémit d’indicible épouvante. Que faire ?

Elle courut à l’escalier supérieur… Mais monter plus haut, ce n’était pas échapper au danger ! Elle vit à sa gauche une porte. Elle ouvrit cette porte et aperçut un long couloir percé de fenêtres aux volets clos. Ce couloir longeait la maison sur sa longueur jusqu’à l’extrémité opposée, où elle aperçut une fenêtre dont le volet avait été à demi poussé. Le couloir était désert. Mais la fumée l’envahissait déjà. Cécile referma la porte et se dirigea vers l’extrémité opposée. Sous elle, dans la partie inférieure de la taverne, elle entendait le grondement de l’incendie qui semblait prendre des proportions terribles. Elle saisit, comme retentissant dans les alentours de la taverne, des clameurs indistinctes. Bien qu’elle eût refermé la porte du couloir, elle fut surprise de voir la fumée s’épaissir autour d’elle. Elle passait devant des portes ouvertes ou fermées ; ces portes ouvraient sur des chambres. Puis elle arriva devant un corridor transversal, au fond duquel était un large escalier : c’était, comme le pensa la jeune fille, l’escalier qui communiquait avec la grande salle de la taverne. Alors elle comprit d’où venait la fumée qui emplissait déjà le couloir : le feu faisait rage dans le grand escalier et les flammes atteignaient maintenant le premier étage.

Prise d’affolement Cécile s’élança dans une course échevelée vers la fenêtre où s’arrêtait le couloir. La fumée commençait de l’oppresser. Elle ouvrit violemment la fenêtre, repoussa le volet en entier et se pencha dehors.

La neige tombait maintenant par gros flocons si épais que Cécile ne pouvait voir le sol en bas. Vaguement pouvait-elle dis-