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LA TAVERNE DU DIABLE

la Ruelle-aux-Rats et ils s’attaquent aux deux barricades de la rue Champlain.

— Mais quels Américains ? demanda Dumas de plus en plus surpris.

— Ceux de Montgomery, répondit le milicien.

Dumas n’en pouvait croire ses oreilles, lui qui avait pensé la colonne de Montgomery réduite en pièces et incapable de revenir à la charge.

Dumas partit aussitôt avec une cinquantaine d’hommes, laissant la barricade en charge du capitaine Marcoux.

Ce fut une faute de Dumas, car peu après son départ les Américains réussissaient à faire sauter la barricade. Alors la lutte se continua de maison en maison, les miliciens retraitant et ne livrant le terrain que pouce par pouce. Mais l’ennemi avait maintenant tout l’avantage, et déjà la population civile, croyant les Américains vainqueurs les acclamait. Et alors l’on vit une chose curieuse.

Les Américains disaient au peuple :

— Ne vous alarmez pas si nous avons pris votre ville, vous ne le regretterez pas !

Le peuple applaudissait. Puis l’on vit les Américains, les civils, les miliciens, les matelots fraterniser ensemble. Ma foi, l’on préférait se tendre la main que de continuer à s’entr’égorger inutilement. Pourtant la victoire n’était pas encore assurée aux Américains, bien que, en apparence, ils fussent maîtres de la basse-ville. Car, depuis un instant, du côté de la rue Champlain arrivaient des soldats de la colonne de Montgomery qui venaient se joindre aux soldats d’Arnold.

Mais Carleton apprenait enfin ce qui se passait en la ville basse, et il allait prendre des mesures pour ressaisir une victoire qui lui échappait.

Avant d’aller plus loin, et vu que les événements qui vont suivre auront pour lieu principal la Taverne du Diable, il importe de revenir sur des incidents antérieurs pour une meilleure intelligence des drames qui vont se dérouler bientôt avec une effroyable rapidité.


XIII

LA CAVE SECRÈTE


Notre lecteur a dû se demander comment Lambert avait pu se tirer de la cave secrète dans laquelle il avait été enfermé à la Taverne du Diable.

C’est ce que nous allons expliquer.

Dumas, après son aventure à la taverne avec Lambert, était revenu à la charge avec vingt miliciens pour délivrer Lambert et s’emparer des traîtres. Mais il avait, comme on se le rappelle, trouve la taverne déserte et abandonnée.

Après le départ de Dumas et de ses hommes, John Aikins et ses associés étaient remontés de la cave dans laquelle ils avaient laissé Lambert. L’échelle avait été retirée, le panneau de la trappe refermé, puis la caisse avait été replacée sur la trappe, de sorte qu’il eût été presque impossible, à moins d’être devin, de découvrir la prison de Lambert.

Puis Lucanius avait dit :

— Cet homme est un otage précieux, il ne faut pas le laisser mourir de faim.

Et durant les jours qui suivirent Miss Tracey fut chargée d’apporter au prisonnier, matin et soir, les aliments nécessaires à sa subsistance.

Or, Miss Tracey, en dépit de la haine qu’elle voulait accumuler contre Lambert qui l’avait si odieusement traitée, comme elle se plaisait à se l’imaginer, ne cessait pas de l’aimer. Et son amour parut augmenter au fur et à mesure qu’elle s’exagéra les souffrances du lieutenant dans son cachot solitaire. Répétons encore que Miss Tracey était par nature une bonne enfant, et elle était incapable de cruauté. Seule la colère ou une haine irraisonnée pouvait la porter à commettre des actes indignes de sa générosité. Mais sa bonne nature reprenait vite le dessus, et alors elle pouvait regretter amèrement ses actes. Elle s’était donc réjouie tout d’abord en voyant Lambert prisonnier de Lucanius, et elle avait souri avec satisfaction à l’idée qu’avait eue son père de l’enfermer en cette cave secrète.

Mais peu après, lorsqu’elle fut remontée à sa chambre où elle était allée se reposer après les terribles émotions qui l’avaient tant bouleversée dans le cours de la nuit, précédente. Miss Tracey commença de s’inquiéter du sort de Jean Lambert. Elle ne put dormir. Sa pensée ne quittait pas le lieutenant. Et toute cette journée, sans s’en rendre compte, elle imagina un moyen de rendre la liberté au jeune homme.

Le soir venu, elle se rendit à la cave pour aller servir à Lambert les aliments qu’on lui avait destinés. Miss Tracey aurait voulu y aller seule, mais John Aikins insista pour qu’un matelot l’accompagnât et que ce ma-