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LA TAVERNE DU DIABLE

terrasse de tenir en respect le reste de la troupe ennemie, à quelques pas en arrière.

Pendant un moment le combat devint très animé.

Montgomery avait réussi à dresser une échelle dans laquelle il s’était engagé le premier, mais deux balles le blessèrent et il dut abandonner la partie.

Ce que voyant Lambert bondit jusqu’à l’échelle, la saisit et l’attira à lui pour la jeter en dedans de la barricade.

Pour la seconde fois les canons chargés à mitraille grondèrent, et cette décharge, presque à bout portant, fut si terrible que la panique s’empara des hommes du général américain. Dans cette décharge Montgomery fut atteint grièvement, et il tomba en rougissant la neige de son sang. Plusieurs officiers du général furent du même coup tués ou blessés gravement. Deux soldats s’empressèrent de relever le général pour le transporter hors d’atteinte, tandis que la troupe ennemie, très décimée, retraitait rapidement vers Près-de-Ville. La mort de Montgomery, qui allait survenir peu après, allait jeter la consternation et le découragement dans sa petite troupe déjà très ébranlée.

Le capitaine Marcoux et Lambert comprirent qu’ils avaient la victoire.

C’est alors seulement qu’ils entendirent le bruit d’une bataille acharnée à l’extrémité opposée de la ville basse.

Lambert allait s’élancer vers la deuxième barricade pour s’enquérir, lorsque Dumas parut.

Il se réjouit grandement lorsqu’il apprit la déroute des Américains.

— Tant mieux, dit-il, cela va nous permettre d’envoyer des secours là-bas. La colonne d’Arnold, expliqua-t-il, a emporté la première barricade de la rue Sault-au-Matelot, et elle marche maintenant sur la deuxième barricade. Il est à craindre qu’elle n’arrive au centre de la place.

— Combien d’hommes voulez-vous ? demanda Marcoux.

— Portez-vous de ce côté avec cinquante hommes et quatre de vos canons. Laissez Lambert ici en charge avec le reste des hommes.

Disons que Marcoux n’avait pas perdu un seul homme, hormis trois miliciens qui avaient été légèrement blessés.

Le capitaine Marcoux se rendit à l’ordre immédiatement et partit avec cinquante hommes de la deuxième barricade.

En effet, du côté de la rue Sault-au-Matelot l’affaire devenait sérieuse.

En dépit des feux plongeants des batteries de la haute-ville postées du côté de la rivière Saint-Charles, et malgré le feu des barricades, Arnold avait réussi à s’emparer de la première et de la deuxième barricade. Il n’en restait plus qu’une à franchir pour permettre aux Américains d’occuper en maîtres toute la ville basse.

Entre les barricades démolies se livrait un combat corps à corps. Les maisons du voisinage, dans lesquelles les américains s’étaient retranchés, étaient assiégées par les miliciens, prises et reprises.

Un bon nombre d’Américains trouvèrent la mort dans ces maisons que la grosse artillerie de la haute-ville démolissait et rasait.

C’est durant ce feu terrible de l’artillerie anglaise que le colonel Arnold eut une jambe de brisée. Cet accident causa un vif émoi parmi la colonne ennemie, car c’était un chef réputé qu’elle perdait.

Néanmoins, jusque-là l’avantage demeurait aux Américains. Et ils en profitèrent pour commencer l’attaque de la dernière barricade. Déjà on les entendait crier : victoire !

Ils clamaient aux civils qui se mêlaient aux miliciens derrière la dernière barricade :

— Rendez-vous mes amis… nous vous offrons les plus belles libertés !

Les miliciens répliquaient par des décharges plus vives de leurs fusils.

L’attaque fut donnée contre la dernière barricade. À la tête des Américains marchait cette fois le major Lucanius.

Dumas venait d’arriver et il avait pris charge de la défense.

— Rendez-vous, mon ami ! lui cria de sa voix de tonnerre Lucanius !

— On ne se rend pas vivants ! riposta Dumas.

— Tant pis ! rétorqua Lucanius, nous vous prendrons morts et ce sera dommage !

La lutte s’engagea terrible, plus terrible maintenant que le jour avait grandi et qu’on pouvait lutter à chances égales.

La barricade était battue en brèche par les Américains qui, retranchés dans les maisons du voisinage, faisaient pleuvoir une grêle de balles sur les Canadiens.

À cet instant critique un milicien faisant partie des barricades de la rue Champlain vint trouver Dumas pour l’informer que Lambert l’envoyait réclamer des renforts.

— Des renforts ? demanda Dumas étonné. Mais pourquoi faire ?

— Les Américains ont pris la barricade de