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LA TAVERNE DU DIABLE

— Approchez, lieutenant, commanda Carleton en indiquant à sa gauche un siège. Le major était assis à droite, c’est-à-dire sur le siège que Cécile avait occupé avant lui.

Après un moment de silence Carleton se tourna vers Lambert et dit, sévère et grave :

— Lieutenant, il paraît qu’un certain plan militaire de la ville a été soustrait de nos archives et vendu aux Américains, en savez-vous quelque chose ?

— Oui, monsieur, répondit fermement Lambert.

— Bien. Maintenant écoutez ce que dit cette lettre.

Il lut lentement la lettre dénonciatrice. Puis il reprit, plus grave encore :

— Comme vous le comprenez, monsieur, cette lettre est très grave, et elle place mademoiselle Cécile dans une terrible position ; aussi est-elle sous arrêts à l’heure qu’il est.

Lambert ne broncha pas.

Carleton poursuivit :

— J’ai fait faire une perquisition chez Cécile pour retrouver le plan ; mais ce plan avait déjà disparu.

— Je sais cela, répliqua Lambert froidement.

— Comment ! s’écria Carleton avec surprise, vous saviez cela ?

— C’est moi qui ai fait disparaître ce plan, parce que j’ai compris qu’il avait été mis là exprès pour perdre Cécile.

Carleton ne pouvait revenir de sa surprise. D’un autre côté, il se réjouissait de voir ceux qu’il estimait se disculper de si belle façon. Mais il n’en était pas de même de Rowley : non seulement ce dernier demeurait surpris, mais il était épouvanté.

— Qu’avez-vous fait de ce plan ? interrogea Carleton au bout d’un moment de silence.

— Le voici ! dit Lambert en tirant de son uniforme un parchemin qu’il déposa devant le général.

Carleton examina longuement le parchemin et demanda :

— Reconnaissez-vous ce plan ? major.

— Oui, répondit Rowley qui essayait de reprendre son calme, mais sans bien y parvenir ; c’est un plan que j’ai moi-même préparé.

Carleton glissa le plan dans un tiroir de la table, médita quelques minutes, se leva et dit à Rowley :

— Veuillez me suivre, major. Je désire entretenir le lieutenant. Vous attendrez dans cette antichambre que je vous appelle.

Et Carleton conduisit Rowley à cette porte que masquait dans l’antichambre une lourde tenture.

Rowley demeura seul dans l’antichambre déserte.

Sombre, inquiet, il s’approcha du feu en murmurant :

— Good God ! je suis perdu si je reste ici une demi-heure de plus. Il faut que je fuie… quand je devrais passer sur le corps de dix gardes !

Il fit jouer son épée dans le fourreau, examina un pistolet et un poignard cachés sous son manteau, et se dirigea vers la porte qui ouvrait sur le vestibule.

Mais cette porte s’ouvrit tout à coup, et le major eut peine à étouffer un cri de surprise en voyant entrer Cécile qui revenait du réfectoire.

Et elle, Cécile, à la vue de Rowley, demeura muette et glacée.

Le major se remit aussitôt de sa surprise, il sourit et dit :

— Quel heureux hasard, mademoiselle. Vingt fois déjà depuis mon retour de Montréal j’ai désiré ardemment vous voir, chaque fois il s’est trouvé un événement pour m’empêcher d’aller vous rendre visite.

— Monsieur, répondit Cécile, hautaine et froide maintenant, vous savez bien que votre visite m’est très indifférente !

— Oui, vous m’avez laissé voir votre indifférence une fois ou deux, mais c’est la première fois que vous me l’avouez aussi franchement.

— Et c’est la dernière fois, j’espère bien.

— Qui sait ? fit Rowley en ricanant.

— Monsieur, dit sévèrement Cécile, ne riez pas, vous m’outragez !

— Cécile Daurac, gronda sourdement Rowley en s’approchant de la jeune fille jusqu’à la toucher, je ne veux pas vous outrager, mais j’aurais bien le droit de le faire.

— Vraiment ? De quel droit ?

— Parce que je devine que vous êtes ici pour m’accuser auprès du gouverneur d’une trahison dont je ne suis pas l’auteur.

— Vous vous trompez, monsieur. Je ne suis pas ici pour accuser, mais pour me défendre de la même accusation.

— Mais en accusant d’autres personnes ? ricana encore le major.

— Cela ne vous regarde pas, je dois me défendre !

— Soit, je ne peux vous dénier ce droit.

— C’est, un devoir, monsieur !

— C’est entendu. Et vous vous disculperez, pensez-vous ?