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LA TAVERNE DU DIABLE

— Sachez que Lymburner est la tête qui a combiné cette trahison !

— Mais diable ! s’écria Carleton avec admiration, voulez-vous m’expliquer comment vous avez pu découvrir toute cette trame ?

— Général, ce n’est pas moi qui suis l’auteur de cette trouvaille, c’est Jean Lambert. Lambert avait d’abord été mis au courant d’une partie de la trame par un hasard ; puis Miss Tracey, enfin, a tout avoué.

— À présent dites-moi si vous ne soupçonnez pas quelqu’un d’avoir enlevé de la cheminée chez vous le plan du major Rowley ?

— Je ne soupçonne personne, et je ne peux savoir qui a eu intérêt à prendre ce plan, attendu que j’ignorais que ce plan eût été déposé là. C’est cette lettre anonyme qui m’en a informée.

— Ne serait-ce pas l’espion qui est entré chez vous ?

— C’est impossible, il n’a fait que passer comme un coup de vent. Ensuite, l’acte de Miss Tracey n’avait pas été prémédité, puisqu’elle ne savait pas que ce soir-là elle serait amenée chez moi ! Donc l’espion ne pouvait savoir que le plan était là.

— C’est juste, dit Carleton.

Il se mit à réfléchir profondément.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Puis le général appuya sur un timbre.

Un valet se présenta.

— Donnez des ordres, dit le général, pour que soient mandés immédiatement le major Rowley et le lieutenant Lambert.

Le valet s’inclina et sortit.

— Mademoiselle Cécile, reprit Carleton, je vais vous faire conduire au réfectoire où une des femmes de service tous offrira l’hospitalité, en attendant que nous ayions tiré au clair toute cette histoire de complot et de trahison.

De nouveau il frappa le timbre.

Un autre valet entra.

— Tommy, dit le général, conduisez mademoiselle Cécile au réfectoire et faites prévenir Miss Hacket de se tenir à la disposition de mademoiselle.

Cécile remercia le général, fit une belle révérence et suivit le valet.


X

UN DRAME IMPRÉVU


À neuf heures le major Rowley pénétrait chez Carleton, qui le reçut avec la plus grande cordialité.

— Mon cher major, avez-vous appris quelque chose de nouveau au sujet de cette vilaine alerte qui nous a tant surpris la nuit dernière ?

— Bah ! fit avec une moue dédaigneuse le major, cette alerte est une berlue des sentinelles : elles auront pris pour un espion ce qui n’était qu’un pauvre diable de noctambule qui se sera trompé de chemin.

— Avouez, reprit Carleton en souriant narquoisement, que ce pauvre noctambule n’était pas bien bien inoffensif, s’il a jugé nécessaire de poignarder une de ces sentinelles. Celle-là n’a certainement pas eu la berlue… elle a eu mieux !

— Oh ! il est bien possible, répliqua négligemment le major, qu’un espion soit pénétré dans nos murs. S’il y est encore, il faut qu’il ait le don de se rendre invisible, à moins qu’il soit reparti sans qu’on sache comment.

— Il avait peut-être des ailes ! se mit à rire Carleton.

— By Heavens ! s’il avait des ailes, que ne s’en est-il pas servi pour entrer, et éviter le charivari qu’il a fait ?

— Certes, certes… sourit Carleton qui, à la dérobée, lorgnait la physionomie de Rowley. À présent, major, admettons que l’espion soit encore dans notre ville.

— Eh bien ! après ?

— Je veux vous confier la mission de le découvrir et de me l’amener ici mort ou vivant !

— Je veux bien essayer, répondit Rowley qui se troubla légèrement.

— Essayez, c’est tout ce que je demande. Et puis, je vous donne toute latitude.

— C’est bien, je vais me mettre à l’œuvre sur le champ. Et le major, croyant que Carleton l’avait fait mander expressément pour lui confier cette mission importante, se leva pour se retirer.

— Attendez, major, j’ai encore quelque chose à vous confier ou plutôt…

Il fut interrompu par un valet qui vint annoncer Lambert.

— Le lieutenant Lambert ? fit Carleton. Faites entrer. Et il ajouta : — Bon, major, voici justement l’homme qu’il vous faut pour accomplir votre tâche avec succès.

Au nom de Lambert Rowley avait violemment tressailli et s’était visiblement troublé. Carleton surprit ce trouble et il pensa :

— Cécile avait raison : voici le traître ! Mais il ne m’échappera pas…

Lambert parut.

Rowley le salua froidement.

Lambert ne salua que le général.