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— Chez des amis ?… interrogea Cécile de plus en plus étonnée.

— Tu ne comprends pas ?… Dumas va te confier la surveillance de Miss Tracey, en attendant qu’il ait prévenu Carleton et que ce dernier ait décidé du sort de ta bonne amie.

— Mais ce n’est pas ma bonne amie !

— Je veux rire, Cécile.

— C’est mon ennemie implacable !

— Eh bien ! tu auras plus de mérites à l’accueillir chez toi.

— Es-tu sérieux ?

— Tellement sérieux, que je te prie de croire que nous n’avons pas de temps à perdre. Donc, tu vas rentrer chez toi et y attendre Miss Tracey à qui tu feras ta meilleure façon pour qu’elle ne se doute de rien. Viens… je t’accompagne. Après, j’ai ordre de me rendre aux quartiers généraux pour aller dire à Turner d’aller reprendre son poste à la barricade.

Cécile dut donc se soumettre à l’idée qu’avait eue Dumas, malgré toute la répugnance qu’elle sentait au fond d’elle-même grandir pour Miss Tracey.

Une fois chez elle, Cécile s’empressa d’enlever son uniforme de milicien, pour revêtir une jolie robe d’intérieur et pour attendre la fille de John Aikins.

Pendant ce temps Lambert courait aux quartiers généraux de la garnison.

Depuis que les Américains avaient investi la ville, Carleton avait installé ses quartiers généraux en une grande salle du Château Saint-Louis, afin d’avoir jour et nuit sous la main ses principaux officiers.

Lambert trouva la grande salle remplie d’officiers et de sous-officiers qui y discutaient bruyamment.

Comme il était pressé, il s’enquit de Turner auprès d’un aide-de-camp. Celui-ci lui désigna le lieutenant en train de s’entretenir avec le major Rowley dans un coin de la salle.

Lambert n’osa pas aller interrompre cette conversation, il attendit, en se mêlant à un groupe d’officiers, que Rowley s’en allât.

Dix minutes se passèrent.

Puis Lambert vit Rowley quitter Turner. Mais le major s’arrêta aussitôt pour se rapprocher du lieutenant, lui dire quelques mots, repartir et quitter la grande salle.

Alors Lambert alla à Turner.

Les deux lieutenants se saluèrent poliment et Lambert fit à Turner la communication suivante :

— Dumas te fait dire que ta présence ici n’est plus nécessaire et d’aller reprendre ton poste à la basse-ville !

Sans marquer la moindre surprise, Turner s’inclina et partit.

Peu après Lambert quitta le château pour se rendre aux casernes de la rue Champlain, où Dumas devait l’attendre pour se concerter tous deux relativement à Rowley et Lymburner.

Dumas avait donc menti à Miss Tracey en lui disant que Rowley et Lymburner avaient été arrêtés ; mais le capitaine avait usé de ce subterfuge pour intimider Miss Tracey et s’en faire en même temps un prétexte pour conduire la jeune fille chez Cécile, et l’empêcher du même coup de communiquer avec ses complices.

Mais Rowley savait déjà que Miss Tracey n’avait pas accompli sa mission, qu’elle avait été arrêtée à la dernière barricade par Jean Lambert. Mais comment avait-il pu être informé de cet échec, quand il ne faisait que de se produire ?

Voici l’explication.

On se rappelle que Miss Tracey, après avoir quitté la taverne pour aller à son rendez-vous avec le major Lucanius, avait rebroussé chemin parce qu’elle avait cru être épiée. On se rappelle encore qu’elle s’était tout à coup trouvée en présence de Rowley qui, peu de temps après elle, était sorti de la taverne. Or, après que Miss Tracey eut repris le chemin des barrières, le major, voulant s’assurer que la jeune fille arriverait sans encombres jusqu’à la barricade où il croyait Turner en service, gagna la rue Champlain et de là prit la direction des casernes. Il savait qu’il pouvait arriver, à cause de son grade de major, jusqu’à la barricade de Turner. Mais quelle ne fut pas sa surprise en découvrant Miss Tracey en conversation avec Lambert.

Il eut de suite le pressentiment que quelque chose allait mal. Dans la crainte d’être surpris là par des amis de Lambert, Rowley revint de suite sur ses pas, pour se rendre immédiatement à la taverne prévenir Lymburner et Aikins.

Inquiets et surpris, les deux complices voulurent interroger Rowley pour avoir des détails de l’affaire.

— Je ne sais rien de plus, répliqua le major. Miss Tracey seule pourra nous donner les détails que nous sommes anxieux de savoir. Pour le moment, il m’importe de savoir ce qu’est devenu Turner. Je cours aux