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qui semblait très intéressée par tous ces détails donnés par le major.

— Donc, poursuivit Rowley, pendant qu’Arnold suivra cette ligne, du côté de l’ouest, Montgomery devra suivre une autre ligne que voici. Voyez !

— Je vois ! dit Miss Tracey.

— Cette ligne, continua le major, se dirige en courbe légère vers Près-de-Ville. Par ce point l’entrée en la ville basse est plus aisée, en ce sens que l’artillerie de la haute-ville n’est pas à craindre. Car une fois Près-de-Ville franchie, la ligne suit un étroit sentier le long du cap qui débouche dans une ruelle transversale. Là commence un système de barrières qu’il faudra emporter avant d’arriver aux barricades de la rue Champlain. Il se peut que Montgomery ait là fort à faire ; mais comme du côté de l’est, nous verrons à ce que la défense soit molle. Ainsi, Miss Tracey, vous comprenez très clairement le chemin à suivre ?

— Si clairement, mon cher Jim, répondit Miss Tracey, que j’irais les yeux fermés.

— Bien, fit le major avec satisfaction. Maintenant écoutez bien les précisions que je vais vous faire. Montgomery et Arnold s’entendront donc pour attaquer à la même minute l’est et l’ouest de la ville. Mais durant cette attaque, et mieux avant l’attaque, les Américains auront soin de simuler une tentative d’assaut du côté des faubourgs, et plus particulièrement vers la Porte Saint-Jean où sont groupées de fortes batteries. Cette attaque attirera l’attention de Carleton qui y portera sûrement la majorité de ses forces, de sorte que, croyant la basse-ville en sûreté, il en retirera des bataillons pour les porter à la haute-ville. Comme vous le voyez, ajouta Rowley en regardant Aikins et Lymburner, le plan d’attaque est fort simple, et je crois qu’avec un peu de diligence et de coup d’œil les Américains pourront s’emparer de la ville en moins de trois heures.

— C’est mon avis, dit Lymburner avec un sourire satisfait.

— C’est le mien aussi, dit John Aikins à son tour, seulement les clefs de la basse-ville ne sont pas les clefs de la haute.

— C’est juste, admit Rowley. Mais là il faut dépendre un peu sur les circonstances.

— Dites beaucoup ! corrigea John Aikins.

— Si vous voulez, Sir John, sourit le major. Mais il est une hypothèse à mettre au jeu et qui peut devenir l’arme la plus sûre.

— Laquelle ? demanda Lymburner.

— Celle-ci : lorsque les Américains seront maîtres de la basse-ville, ne pensez-vous pas que la haute-ville bombardée du côté de la campagne et sans cesse dans la crainte de voir ses murs s’écrouler, ne s’émeuvra pas en voyant les Américains vainqueurs ? Elle se rendra plutôt que de s’exposer à la ruine.

— Je pense ainsi, dit Miss Tracey.

— Donc, reprit Rowley, la clef de la basse-ville, c’est également la clef de la haute. Une chose, continua le major, les Américains entreront par la basse-ville ou ils n’entreront pas du tout ; il n’y a ni autre chemin, ni autre alternative.

— Quoi qu’il arrive, dit Lymburner, les Américains ne sauraient méconnaître nos services, nous aurons accompli tout ce qu’il est possible de faire. Nous avons réduit de moitié la population de la ville et d’un quart la garnison, et c’est grâce à la propagande que j’ai faite de ma seule initiative. Ce sont donc autant de soldats dont la ville est privée. Et maintenant nous allons leur fournir une carte d’entrée. On nous a traités de lâches, c’est entendu ; mais on ignorait le mobile exact qui nous guidait. On nous a traités de traîtres aussi ; mais par le fait que nous sommes partisans de l’indépendance, nous ne nous reconnaissons plus sujets de l’Angleterre. Nous ne sommes donc ni des lâches ni des traîtres, mais des citoyens qui revendiquent des libertés que l’Angleterre ne saurait leur accorder. J’ai donc fait ma part honnêtement et loyalement.

— Et pour ma part, à moi, dit Rowley à son tour, j’ai préparé ces plans qui sont une clef puissante.

— Pour la mienne, fit John Aikins en tirant ses favoris roux, j’ai gagné à la cause américaine les 700 cents matelots qui font partie de la garnison et sur lesquels nous pouvons compter.

— Et pour ma part, dit enfin Miss Tracey, je me charge de remettre au major Lucanius ce plan, c’est-à-dire cette clef de la ville de Québec !

— Eh bien ! Miss Tracey, reprit Lymburner, je dois avouer que vous avez le plus beau rôle.

— Merci, répondit la jeune fille en rougissant de plaisir. Puis elle demanda au major : — Qui commande ce soir à la barricade de la Ruelle-aux-Rats ?

— Un de nos amis, répondit Rowley, le lieutenant Turnor.

— Bon, je passerai facilement.

— Il est chargé de te donner le mot de passe pour les sentinelles de Près-de-Ville.