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— Des fusils !…

— Des armes !…

— Des balles !…

— Sus aux Américains !…

— Vive notre Canada !…

Ces cris retentirent de la masse des quatre cents Canadiens.

— Et foi de Thomas Savarin, reprit le rude gaillard, on montrera à qui veut nous voir qu’on sait encore défendre son pays ! Donne-nous des armes, Jean Lambert, qu’on aille massacrer les Américains !…

— Hourra ! hourra ! brave Savarin… clama Cécile Daurac qui demeurait fière et enthousiaste à côté de Lambert.

Puis elle courut au colosse canadien, lui sauta au cou et l’embrassa sur les deux joues aux joyeux applaudissements de la ville entière.

— Eh bien ! s’écria Cécile avec orgueil, on embrasse son frère, son grand frère, son noble frère !… Encore, mon Savarin, tu es un héros. Et de nouveau, sous une tempête de vivats, Cécile embrassa les lèvres barbues du brave Canadien.

Lui… pleurait doucement !

Alors un brouhaha indescriptible se déchaîna autour de Cécile, toute l’immense foule voulait féliciter la brave petite canadienne, toute la masse des Canadiens voulaient embrasser la glorieuse petite blonde, la cité entière — hormis la masse rebelle et réfractaire — voulut porter en triomphe cette petite fille qui venait de se révéler une grande canadienne. Et elle, tandis qu’elle riait candidement, des gaillards, aux bras nerveux, se rapprochaient pour la saisir et pour l’élever vers les cieux… vers la gloire !

— Holà ! vous autres… cria Jean Lambert avec une colère simulée, vous n’allez pas me la dévorer, je compte bien, il ne manquerait, plus que ça ! Ne savez-vous pas qu’on s’épouse à la Noël ?…

Des applaudissements emplirent l’espace, des vivats éclatèrent encore…

Puis d’autres voix demandèrent :

— Fais-nous donner des armes, Jean Lambert !

— C’est bon, répliqua le lieutenant, on va y voir !

De leur camp les commerçants anglais avaient regardé cette scène avec une stupéfaction croissante, puis avec une sourde irritation.

Plusieurs saisirent des pierres et les lancèrent furieusement contre les Canadiens.

— Oh ! oh ! s’écria Lambert, qui donc nous bombarde ainsi ?

— Ce sont les Américains ! répliqua Cécile avec ironie en désignant les Anglais rebelles.

— Mademoiselle, riposta Lymburner qui demeurait à la tête des réfractaires, on n’est pas des Américains, mais des Anglais !

— Des Anglais… vous autres ? Allons donc ! depuis quand les Anglais refusent-ils de servir leur roi ?

Et Cécile, après ces paroles, fit entendre un rire dédaigneux.

À ce moment Carleton arrivait à la tête d’un détachement de cavalerie.

Il vit les Anglais d’un côté, les Canadiens de l’autre, puis il aperçut Lambert et Cécile ; il comprit de suite ce qui se passait.

Il se tourna vers les premiers et prononça sur un ton impératif :

— Allons ! choisissez… des armes ou la porte !

— On s’en va ! hurla Lymburner.

— Allez-vous-en ! répliqua froidement Carleton.

Il tourna le dos et marcha vers les Canadiens.

— Ah ! vous autres au moins, dit-il, on sait quel sang coule dans vos veines ; je suis content de reconnaître des Français !

— Oui, répondit Lambert, des Français qui veulent défendre leur pays !

— Des Français, ajouta Cécile, qui demandent des armes de suite !

— Des armes ?… Nous en avons en quantité, des munitions aussi. Des armes ?… reprit Carleton, il y en a toujours pour les braves ! Allons ! mes amis, qu’aujourd’hui on se réjouisse… demain l’on travaillera, et demain l’on vous donnera des armes !

Tandis que s’élevaient des acclamations joyeuses, le général anglais se rapprocha de Lambert et de Cécile, et prononça à voix basse :

— Merci, lieutenant. Vous venez de mériter d’autres galons dont je vous ferai présent le jour de vos noces. Quant à vous, mademoiselle Cécile, je vous promets un cadeau qui ne déparera pas, j’en suis convaincu, les galons que je réserve à votre futur mari !

Et sans attendre l’expression de reconnaissance de Lambert et de Cécile, Carleton fit pivoter son coursier noir et, suivi de sa troupe, partit au grand trot vers d’autres points de la ville.

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